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Entretien
Contenu archivé le 2024-04-18

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Une approche couvrant plusieurs espèces, pour gérer les poissons en mer du Nord

La surexploitation des poissons est un problème de plus en plus critique, on recherche donc sans cesse de nouvelles stratégies de gestion des ressources, ainsi que des techniques de prévision plus exactes. Le projet GADCAP a apporté une contribution importante en la matière, en testant une approche à plusieurs espèces pour gérer les exploitations piscicoles dans la zone du Bonnet flamand.

Les limitations des approches monospécifiques de la gestion des exploitations piscicoles ont été pointées du doigt par des organismes comme l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), conduisant à des tentatives pour les remplacer par une méthode plus large de gestion et d'évaluation. Le principal inconvénient de l'approche monospécifique est de considérer chaque espèce isolée de son écosystème, et d'utiliser les données résultantes pour définir des procédures de gestion. Cette méthode néglige les effets des interactions avec les autres espèces sur la dynamique de la population, une approche englobant plusieurs espèces peut donc s'avérer utile. L'équipe du projet GADCAP (Implementation of a multispecies model GADGET to the ecosystem of Flemish Cap and incorporation to the fisheries stock assessment of NAFO; a case study), financé par l'UE et dirigé par le professeur - docteur Perez-Rodriguez Alfonso, a passé les deux dernières années à appliquer une telle approche au Bonnet flamand. Cette zone est un environnement idéal pour ce test car elle est relativement simple (85 % de la biomasse est constituée par les morues, les sébastes et les crevettes) et isolée, les espèces sont fortement reliées, et l'on dispose de grandes quantités de données de qualité générées par des études commerciales ou scientifiques. Dans cet entretien exclusif avec le magazine research*eu consacré aux résultats, le professeur - docteur Rodriguez développe les résultats du projet et comment il contribuera finalement à démêler les facteurs interconnectés qui déterminent la dynamique des stocks de morues, de sébastes et de crevettes sur le Bonnet flamand. Selon vous, quels sont les principaux désavantages de l'approche monospécifique pour gérer les pêcheries? Cette approche peut être valable pour des espèces commerciales qui ne sont pas des proies (ou relativement peu par rapport aux autres causes de mortalité) et se nourrissent des éléments de l'écosystème qui ne sont pas exploités commercialement (comme le zooplancton ou le phytoplancton). Cependant, ces cas sont en réalité rares et la plupart des espèces commerciales subissent de fortes interactions avec d'autres espèces, non seulement par la prédation mais aussi par la compétition pour les ressources alimentaires. Dans de tels cas, le fait de négliger les interactions entre les espèces peut conduire à surestimer la productivité de la population, et à obtenir des prévisions des stocks à court et long terme qui seront bien au-dessus des valeurs réelles. En retour, ceci peut entraîner la surexploitation des ressources qui, si elle persiste à long terme, peut conduire au déclin voire à l'effondrement des populations exploitées. Comment l'approche qui tient compte de plusieurs espèces peut-elle donner de meilleurs résultats? Au contraire de l'approche monospécifique, elle tient compte des principales interactions avec les autres espèces commerciales de l'écosystème. La description et la modélisation du passé ne sont pas nécessairement meilleures pour l'approche à plusieurs espèces, mais ses prévisions à court et long terme devraient être bien plus fiables. En effet, lors des projections, on peut prévoir la dynamique de la population commerciale en tenant compte explicitement des interactions trophiques et des interactions complexes de la prédation et de la compétition. Dans certaines zones, on intègre les évaluations par des modèles à plusieurs espèces de la mortalité par prédation dans les modèles monospécifiques. C'est déjà un progrès, mais c'est insuffisant: un modèle monospécifique ne peut représenter correctement les retours complexes résultant des interactions de prédation, ce qui est particulièrement important pour évaluer les stratégies de gestion. Pourquoi avez-vous choisi l'outil GADGET pour votre projet? Notre intention était de concevoir un modèle assez simple pour donner un avis scientifique utile dans la zone de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-ouest (NAFO), mais intégrant quand même le maximum d'informations sur les interactions entre les espèces et d'autres éléments en rapport avec la productivité de la population. L'outil GADGET répond à ces besoins. Il est souple et permet de créer n'importe quel modèle, du plus simple au plus complexe, en tenant compte de diverses caractéristiques de l'écosystème: une espèce ou plusieurs, chacune pouvant être fractionnée en plusieurs composantes, plusieurs zones avec des migrations entre elles, la prédation inter et intraspécifique, la croissance, la maturité, la reproduction et son succès, et plusieurs flottes commerciales ou scientifiques effectuant des prélèvements sur les populations. Ce modèle basé sur processus permet de modéliser divers processus biologiques et écologiques pour chaque population, et de définir les paramètres pour les sous-modèles de prédation, de croissance, de maturation, de poids/longueur ou de changement de sexe. La FAO l'a classé parmi les meilleurs modèles d'écosystèmes, donnant les meilleurs avis scientifiques pratiques pour la gestion des pêcheries. Il est utilisé dans plusieurs zones comme les mers d'Islande, de Barents et le golfe de Gascogne. Que vous ont appris vos travaux dans le Bonnet flamand sur la dynamique des populations de morues, de sébastes et de crevettes? Nous avons constaté que la surpêche, la prédation, le cannibalisme et un succès reproductif variable étaient les principaux facteurs des variations importantes de la biomasse de ces trois espèces pendant la période de l'étude. Pour les crevettes, l'effondrement des populations résulte de la pêche et de la prédation par les sébastes et les morues. La proportion de morues de grande taille, surtout depuis 2010, a augmenté la mortalité par prédation chez les sébastes et semble être le principal facteur de leur déclin. Le modèle a également montré que le cannibalisme a été la principale source de mortalité chez les morues et les sébastes juvéniles, contrariant notablement la possibilité d'augmenter les stocks. En outre, il a révélé l'importance de groupes de proies externes comme les hyperidés et euphausiacés pour les morues et les sébastes immatures ou jeunes matures, le genre Anarhichas pour les grandes morues matures, et les copépodes pour les sébastes. Ces résultats suggèrent que le déclin de certains de ces autres groupes de proies puisse avoir d'importantes conséquences pour la dynamique des espèces commerciales en modifiant les interactions de prédation (et de cannibalisme). Pour la prévision à long terme, la valeur globale de la biomasse et le «rendement maximal durable» estimé pour chaque espèce, en fonction de plusieurs niveaux de pêche, ont montré des effets marqués de la mortalité des poissons sur les stocks de proies et de prédateurs. Dans ce contexte, la diminution attendue de la biomasse, en cas d'augmentation de la pêche, a été observée chez les trois espèces. Mais au-delà de ces réactions plutôt triviales des stocks de poisson, qui peuvent aussi être prévues par des modèles monospécifiques, des effets secondaires plus intéressants sont apparus, et uniquement dans les modèles à plusieurs espèces. Citons ainsi l'impact négatif sur la production totale et le rendement maximal durable de la morue, suite à une pêche plus intensive des sébastes et des crevettes. Cet impact résulte d'une augmentation du cannibalisme chez la morue, suite à la raréfaction des proies principales. Citons encore l'impact positif sur la biomasse et le rendement durable maximal des sébastes d'une augmentation de la pêche des morues, qui réduit la prédation. Il en va de même pour les crevettes, si l'on augmente la pression de la pêche sur les morues et les sébastes. Selon vous, quelles sont les principales contributions de GADCAP au développement des modèles à plusieurs espèces? À ce jour, la principale contribution de GADCAP est de présenter un exemple clair des avantages de tenir compte des interactions trophiques pour essayer d'expliquer et de prévoir la dynamique d'une population. Mais nous espérons bientôt élargir la portée du modèle GADCAP à plusieurs espèces, en l'appliquant pour évaluer des stratégies de gestion couvrant plusieurs espèces. En quoi estimez-vous que les résultats de votre projet contribueront à mieux gérer les exploitations piscicoles dans la zone du Bonnet flamand? GADCAP est le premier modèle à plusieurs espèces mis au point pour la zone NAFO. Ses résultats montrent clairement que le fait de négliger les interactions entre les espèces pour gérer les morues, les sébastes et les crevettes du Bonnet flamand, conduira à sous-estimer gravement l'importance et la variabilité de la mortalité naturelle. Ceci engendre un optimisme excessif de la biomasse exploitable dans les projections à court terme soutenant les décisions de gestion. Par ailleurs, le modèle a aussi montré qu'à cause des relations de taille entre les prédateurs et les proies, ainsi que de la dynamique des populations de proies et de prédateurs découlant d'un succès reproductif variable, les interactions trophiques ont une plasticité élevée et vont au-delà des relations entre les espèces: elles sont aussi modulées par la taille. C'est un facteur qu'il faut vraiment prendre en compte pour évaluer l'impact des prédateurs sur un stock de proies, sinon l'évaluation de la mortalité par prédation pourrait avoir des résultats trompeurs. GADCAP représente donc la première étape vers la mise en place d'une approche associant les écosystèmes et plusieurs espèces, pour gérer les pêcheries dans la zone NAFO. Quels sont vos plans maintenant que le projet est clôturé? Le développement de GADCAP a révolutionné mon expertise dans les domaines associés à la modélisation de la dynamique des populations, de l'évaluation des stocks et de leur gestion. Il a élargi mes capacités de biologiste et d'écologiste du milieu marin. Je suis maintenant prêt à m'attaquer à des projets et des tâches d'intégration dans le contexte de la gestion et du contenu de l'environnement, où les connaissances sur un écosystème marin et sa modélisation sont d'une grande importance. Je suis donc très intéressé par des projets appliquant la gestion des écosystèmes à la gestion des exploitations piscicoles. Une possibilité serait de poursuivre les travaux commencés sur le Bonnet flamand, en concevant un cadre d'évaluation des stratégies de gestion, dont le cœur du modèle opérationnel serait basé sur les modèles à plusieurs espèces conçus par GADCAP. Et pour les autres zones de pêche? Avez-vous l'intention de poursuivre vos travaux ailleurs en Europe? Oui, cette approche à plusieurs espèces est relativement nouvelle et n'a été appliquée qu'à un petit nombre de systèmes. Comme indiqué précédemment, pour ces systèmes où les interactions entre les espèces sont importantes (notamment la prédation), l'approche à plusieurs espèces apporte sur la dynamique de la communauté des informations qui sont hors de portée des approches monospécifiques. Ceci peut conduire à de graves erreurs dans les décisions de gestion. En conséquence, pour de tels systèmes disposant des bases de données adéquates, il sera toujours intéressant de mettre en place cette approche, et je serais heureux d'apporter ma contribution, directement ou non. Ces écosystèmes peuvent être dans les eaux européennes, ou dans des zones internationales sur lesquelles l'UE, en tant que détenteur de contrat, a beaucoup d'intérêts et a un rôle majeur dans la définition des approches et des décisions de gestion (ce qui est le cas pour la zone NAFO). GADCAP Financé au titre de FP7-PEOPLE page du projet sur CORDIS

Pays

Norvège