Prédire les «points de basculement» chez l'homme et dans les écosystèmes
Un groupe international de scientifiques s'est penché sur les études des seuils critiques dans divers systèmes complexes tels que les humains, les écosystèmes et les marchés financiers. La conclusion est claire: quels que soient les détails, la dynamique de chaque système autour de son «point de basculement» se caractérise par des propriétés communes. L'étude de la modélisation des signes avant-coureurs, publiée dans la revue Nature, ouvre de nouvelles possibilités pour relier les travaux conduits dans plusieurs disciplines sur le phénomène de «tipping-point» (point de basculement). Les travaux ont été partiellement financés par un prix européen pour jeunes chercheurs. Cette initiative du sixième programme-cadre (6e PC) vise à attirer de jeunes scientifiques d'exception dans tous les domaines de recherche et originaires de n'importe quel pays dans le monde, et à les aider à créer leur propre équipe dans des centres de recherche en Europe. Ces prix ont maintenant été remplacés par les subventions de démarrage du Conseil européen de la recherche (CER). Il n'est guère facile de prévoir le moment auquel se produira un changement critique dans un système, qu'il s'agisse d'une crise d'asthme ou d'une crise financière. Pour la plupart des systèmes complexes, des modèles suffisamment exacts de prévision des seuils commencent à peine à voir le jour, et bien souvent les scientifiques n'ont pas une vision complète de tous les mécanismes et rétroactions impliqués. Dans cette récente étude, des chercheurs en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis ont examiné des signes avant-coureurs dans des systèmes très différents, à la recherche de caractéristiques communes. Ils ont ainsi recherché des ressemblances entre les crises d'épilepsie et la fin des périodes glaciaires, la désertification et les crises d'asthme, ou encore les transitions climatiques et les écosystèmes. «Il devient de plus en plus évident que de nombreux systèmes complexes ont des seuils critiques, des 'points de basculement', où ils passent brutalement d'un état à un autre», souligne l'article. L'équipe a constaté que certains signes avant-coureurs ont un caractère général, ce qui suggère que les transitions pourraient en quelque sorte être associées à des «bifurcations», où l'évolution est gouvernée par les lois universelles des systèmes dynamiques. En bref, ces signes pourraient apporter d'importantes informations sur l'augmentation de la probabilité qu'un évènement majeur ne survienne. Ainsi, les indices précoces de transitions brutales dans les systèmes humains sont similaires à ceux rencontrés dans la nature. «Dans le cas de l'asthme, on a constaté que les poumons pouvaient s'engager dans une dynamique auto-organisée de bronchoconstriction [le rétrécissement des voies respiratoires], qui pourrait être l'indice d'une dangereuse défaillance respiratoire. Cette dynamique ressemble à celle que l'on rencontre dans une végétation désertique en cours d'effondrement», poursuit l'article. Dans un système naturel complexe, il est très difficile de détecter les signaux avant-coureurs. Cependant, les résultats d'études récentes de huit épisodes de changement climatique (comme la transition «chaud-froid» qui s'est produite il y a environ 34 millions d'années) montrent une corrélation croissante entre la dynamique du climat reconstituée et les transitions critiques du climat. L'inclusion à cette étude des marchés financiers est difficile, expliquent les auteurs, car le fait de découvrir un caractère de prévisibilité dans ce domaine conduit à l'éliminer. Les prévisions peuvent conduire au profit, aussi les modes d'évolution sont rapidement étouffés. Cependant, on peut détecter des signes avant-coureurs à l'aide d'outils tels que «l'index de crainte» (qui mesure la volatilité) ou en étudiant les modèles inscrits dans la fluctuation des prix des options, par exemple. «Les transitions dans les systèmes humains et naturels apportent des informations très intéressantes», déclare Henry Gholz, directeur de programme du département de biologie environnementale de la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis. «Ces informations arrivent à un moment critique [...] alors que la fragilité de la Terre (et la nôtre) ont été mises en évidence par la crise économique mondiale, les débats sur la réforme du service de santé et les inquiétudes concernant l'évolution rapide des systèmes climatiques et écologiques.» «En étudiant les systèmes où nous pouvons observer des transitions répétées, comme les lacs, les aires de variations ou les champs, ou encore en physiologie humaine, nous pourrions découvrir quels sont les seuils», soulignent les auteurs. L'étude conclut que l'un des points essentiels pour une application critique «est la question de savoir s'il est possible de détecter un signal assez tôt pour que l'on puisse agir afin d'éviter la transition ou de s'y préparer». D'autres travaux sont nécessaires pour découvrir la fiabilité de ces signaux dans divers modèles mathématiques.
Pays
Allemagne, Espagne, Pays-Bas, États-Unis