Des scientifiques décodent le génome du mildiou de la pomme de terre
Une équipe internationale de scientifiques a séquencé le génome du mildiou de la pomme de terre, l'agent pathogène responsable de la Grande Famine en Irlande et qui est encore responsable chaque année de pertes en termes de récoltes s'élevant à 6,7 milliards de dollars (4,6 milliards d'euros). Publiés dans la revue Nature, les résultats pourraient expliquer comment ce mildiou s'adapte aussi rapidement aux tentatives visant à l'éliminer, et conduire à de nouvelles stratégies pour contrôler l'agent pathogène. Le mildiou de la pomme de terre est causé par Phytophthora infestans, un oomycète qui prospère sous des climats frais et humides. La pomme de terre est la quatrième culture vivrière la plus importante dans le monde, et P. infestans en est le pire ennemi. Un plant infecté meurt dans la semaine. Pour essayer de garder le parasite au large, les agriculteurs aspergent leurs cultures de fongicides, ce qui leur revient très cher. Les scientifiques ont sélectionné des variétés de pommes de terre qui résistent au mildiou, mais l'agent pathogène s'est adapté rapidement. La raison de cette adaptation rapide de P. infestans est depuis longtemps une énigme. Dans cette récente étude, les chercheurs ont séquencé le génome de P. infestans et l'ont comparé avec celui de deux autres oomycètes apparentés, P. sojae (pourrissement des racines du soja) et P. ramorum (mort subite du chêne). Les résultats ont apporté leur lot de surprises. Tout d'abord, le génome de P. infestans compte 240 millions de paires de bases, bien plus que P. sojae (95 millions) et P. ramorum (65 millions). Ensuite, le génome de P. infestans se distingue par une structure inhabituelle: la majeure partie des 18000 gènes est localisée dans des zones denses, mais qui ne représentent qu'environ un quart du génome. Pour la plupart, il s'agit de gènes constitutifs ou «ménagers», qui ont peu changé au cours de l'évolution et sont responsables de l'activité générale et de la reproduction de l'agent pathogène. Au contraire, le reste du génome consiste en une longue suite de nombreuses copies de segments d'ADN, et les quelques gènes trouvés dans ces régions à forte répétition sont impliqués dans la capacité de P. infestans à infecter la pomme de terre et d'autres plantes. «Nos travaux suggèrent un génome 'à deux vitesses', en ce sens que ses deux parties évoluent à un rythme bien différent», explique l'un des auteurs principaux, le professeur Sophien Kamoun du Sainsbury Laboratory au Royaume-Uni. «Avec ce génome à deux vitesses, P. infestans pourrait s'adapter rapidement à ses plantes hôtes, pendant que les gènes nécessaires à sa biologie de base sont conservés.» «Au contraire des régions stables où se trouvent la plupart des gènes, les régions riches en répétitions évoluent rapidement, agissant comme une sorte d'incubateur pour favoriser l'apparition et la disparition rapides de gènes essentiels à l'infection. Ces gènes critiques peuvent être gagnés et perdus tellement rapidement que les victimes ne peuvent suivre», ajoute le coauteur principal Brian Haas du Broad Institute aux États-Unis. Initialement considéré comme une moisissure, P. infestans est désormais classé parmi les oomycètes. Il est donc plus proche du parasite du paludisme que des champignons. Cet agent pathogène est tristement célèbre pour la Grande Famine qui a décimé les cultures de pommes de terre en Irlande au milieu du XIXe siècle, causant la mort de plus d'un million de personnes et une immigration massive vers les États-Unis. Aujourd'hui encore, le parasite reste un problème majeur pour les agriculteurs, et une menace grave pour l'approvisionnement en nourriture au niveau mondial. D'après les agriculteurs d'Irlande, cette année a été la pire dont ils se souviennent, et leurs collègues au Royaume-Uni ont été obligés d'augmenter les épandages de 30% ces dernières années. Aux Pays-Bas, les cultures de pommes de terre reçoivent davantage de fongicides que toute autre culture. De l'autre côté de l'Atlantique, le mildiou est également un problème sérieux et coûteux pour les cultivateurs de pommes de terre et de tomates. «Cet agent pathogène a l'admirable capacité de changer et de s'adapter, et c'est ce qui le rend si dangereux», commente le Dr Chad Nusbaum du Broad Institute. «Nous avons maintenant une vision complète de son génome et des propriétés inhabituelles qui expliquent cette remarquable adaptabilité. Espérons que ceci conduira à des approches originales pour diagnostiquer les invasions et y réagir.»