La séquence du génome du puceron dévoilée
Une équipe internationale de scientifiques vient de séquencer le génome du puceron du pois. En plus d'apporter de nouvelles informations sur l'écologie et l'évolution des insectes, ces résultats pourraient mener au développement de nouvelles méthodes de contrôle des pucerons, d'importants ravageurs des cultures. Les résultats ont été publiés dans la revue Public Library of Science (PLoS) Biology; des articles d'accompagnement ont également été publiés dans les revues PLoS Genetics, Genome Biology et dans une édition spéciale d'Insect Molecular Biology. Les pucerons vivent sur les plantes et se servent de leurs pièces buccales pour percer les structures qui transportent les sucres dans les plantes. Il existe près de 5000 espèces de pucerons dans le monde entier, et nombres d'entre eux sont de véritables ravageurs des cultures ou même des plantes ornementales. Les pucerons, en plus de détériorer les plantes en se nourrissant de leur sève, sont responsables de la propagation de nombreux virus chez les plantes. «À l'échelle mondiale, les pertes de rendement annuelles dues aux pucerons sont estimées à des centaines de millions de dollars», expliquent les chercheurs dans leur article. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs se sont penchés sur le puceron du pois (Acyrthosiphon pisum), qui, comme son nom l'indique, se nourrit de pois mais également d'autres légumineuses. Les chercheurs ont tout d'abord été très surpris par le nombre impressionnant de gènes que possède l'insecte. «Nous avons découvert énormément de gènes, près de 35000, en comparaison des 15000 ou 20000 habituels chez les autres insectes, et même des 25000 gènes chez l'homme», commente Stephen Richards du Baylor College of Medicine aux États-Unis. Comment expliquer la quantité de gènes que possède le puceron? Il est fort probable qu'il reproduise certains de ses gènes. «Cela signifie donc que le puceron du pois fait une 'sauvegarde' de son matériel génétique», explique Denis Tagu de l'Institut national français de la recherche agronomique (INRA). «L'une des hypothèses est qu'une copie de cette sauvegarde est préservée intacte et utilisée pour le fonctionnement des cellules et de l'organisme, et la seconde permet des modifications au moyen de mutations.» «La plupart des mutations sont probablement neutres ou négatives pour les gènes, et sans aucun effet sur la biologie de l'organisme», ajoute David Stern de l'université de Princeton aux États-Unis. «Cependant, quelques rares mutations peuvent produire de nouvelles fonctions spécifiques à certains gènes qui, dans ce cas, permettraient au puceron de s'adapter à son environnement. Une autre possibilité est que les pucerons ont besoin de copies de gènes supplémentaires pour réguler toutes les étapes de leurs cycles de vie complexes.» Les pucerons ont développé plusieurs formes différentes pour s'adapter aux changements environnementaux. Au printemps et en été, les femelles asexuées donnent naissance à des progénitures asexuées qui sont en réalité leurs propres clones. Toutefois, en automne, lorsque leur environnement devient hostile, les pucerons produisent des pucerons femelles et mâles sexués. Lorsque ceux-ci s'accouplent, les femelles pondent leurs oeufs qui écloront au printemps pour donner des femelles asexuées, et le cycle complet recommence. Il existe également des formes ailées et non ailées; les pucerons ailés peuvent se déplacer relativement loin et coloniser de nouvelles plantes par exemple. Une autre révélation pour les chercheurs résidait dans l'absence de nombreux gènes impliqués dans le système immunitaire. «Étant donné l'absence de ces gènes, il semblerait que les pucerons possèdent un système immunitaire assez faible», fait remarquer Nicole Gerardo de l'université Emory, aux États-Unis. Une explication possible est que les pucerons ont sacrifié un système immunitaire fort au profit de la capacité à se reproduire rapidement. «Il semblerait que les pucerons soient sélectionnés pour leur vitesse de reproduction très rapide; ils colonisent une plante et donnent naissance à une progéniture avant que leurs ennemis ne les trouvent et ne les [exterminent]», explique Charles Godfrey de l'université d'Oxford au Royaume-Uni. «Nous savons qu'il existe des compromis entre la défense et d'autres composants de bonne santé, et il semblerait que chez les pucerons, la sélection naturelle ait favorisé la reproduction au détriment de la défense.» Une autre possibilité est que leur système immunitaire affaibli les empêchent de tuer leurs bactéries symbiotiques (ou endosymbiotes). Le régime alimentaire des pucerons constitué de sucres prélevés sur les plantes est totalement dépourvu d'acides aminés. Le puceron les obtient grâce à ses endosymbiotes appelé Buchnera, qui vivent dans des cellules spéciales du puceron et se transmettent de génération en génération. L'étude de ce système pourrait avoir des implications sur la santé humaine. «Certaines personnes sont malades lorsqu'elles prennent des antibiotiques car le médicament détruit les bactéries bénéfiques [qui se trouvent dans les intestins]», explique le Dr Gerardo. «En étudiant le processus qui permet de préserver les bactéries de la flore intestinale tout en se débarrassant des bactéries dangereuses dans plusieurs organismes, dont les pucerons, nous pourrions peut-être mieux le comprendre.» Les résultats pourraient également mener à une meilleure protection des cultures. «La compréhension du dialogue moléculaire entre les gènes des bactéries et du puceron pourrait mener à la découverte de mécanismes régulateurs importants pouvant réduire l'efficacité de la symbiose et perturber l'impact des pucerons sur les cultures», fait remarquer le Dr Tagu. «Les biologistes travaillant sur le puceron du pois possèdent désormais un nouvel ensemble d'outils de valeur pour s'attaquer à ces questions originales», conclut le professeur Godfrey. «Les études sur le puceron nous permettront de mieux comprendre la biologie du puceron et d'autres insectes plus généralement, et auront des avantages économiques évidents à une époque où il est indispensable d'améliorer la sécurité des aliments.»