Combattre les ravageurs en se montrant plus malin qu’eux
Alors que les consommateurs, les cultivateurs et les autorités appellent à une réduction de l’utilisation des pesticides, les phéromones sexuelles — des substances chimiques naturellement produites par les insectes pour attirer un partenaire reproducteur — semblent très prometteuses pour le contrôle durable des ravageurs agricoles. Elles ont pour effet bénéfique de perturber l’accouplement: en distribuant de petites quantités de phéromones sexuelles dans les champs ou les vergers, les ravageurs sont désorientés et ne peuvent plus se localiser pour s’accoupler et proliférer. Cependant, les phéromones sexuelles sont des molécules complexes, et leur synthèse chimique implique des produits chimiques coûteux et génère des déchets dangereux. Le projet ΕcoFRUIT, financé par l’UE, avait pour objectif d’obtenir une production durable et rentable de phéromones d’insectes par fermentation en tant qu’alternative viable à la synthèse chimique. EcoFRUIT a été entrepris avec le soutien du programme Actions Marie Skłodowska-Curie(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). Le projet s’est concentré sur la phéromone du carpocapse(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), appelée «codlémone», le carpocapse étant l’un des principaux ravageurs des pommes, poires, prunes et autres fruits. La production de codlémone à un prix abordable permet une utilisation plus large d’une méthode respectueuse de l’environnement de contrôle des ravageurs dans diverses cultures. EcoFRUIT visait en outre à confirmer l’efficacité de la codlémone fermentée par rapport à la codlémone synthétique lors de tests en laboratoire et dans les vergers de pommiers, et à sensibiliser le public aux phéromones en tant qu’alternatives aux insecticides.
Observer les insectes
La particularité du projet EcoFRUIT est qu’il a cherché à tirer des enseignements de la nature. Les composés que l’équipe a produits existent déjà, synthétisés par les espèces d’insectes elles-mêmes. Chaque insecte utilise une phéromone ou un mélange spécifique pour attirer ses partenaires en vue de l’accouplement et pour se distinguer des autres insectes. Les scientifiques ont étudié les insectes, y compris leurs génomes et leurs transcriptomes, afin de déterminer les voies de synthèse des phéromones de chaque insecte, pour ensuite les copier dans Yarrowia lipolytica(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), un type de levure oléagineuse modifiée. En coopération avec BioPhero, une société de biotechnologie spécialisée dans la fermentation des phéromones, le projet EcoFRUIT a réussi à créer une technologie(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) permettant une production efficace de phéromones à grande échelle. Y. lipolytica est un hôte idéal car il produit naturellement de hauts niveaux de précurseurs nécessaires à la synthèse des phéromones.
Résoudre des énigmes en laboratoire
En contrôlant le métabolisme de cette levure, les chercheurs sont en mesure de construire une plateforme de souches de levure qui peuvent être utilisées pour synthétiser une gamme de phéromones différentes, qui peuvent toutes cibler différentes espèces d’insectes. «La beauté du projet EcoFRUIT est qu’une fois que nous avons mis au point la technologie de production d’un type de phéromone, nous disposons d’une plateforme qui peut être modifiée pour produire de nombreuses autres phéromones», explique Leonie Wenning, coordinatrice du projet. Bien que la procédure de production de la codlémone par le carpocapse soit relativement connue, la mise en œuvre de la biosynthèse dans Y. lipolytica s’est avérée étonnamment compliquée. Cela est dû aux différences dans leur composition moléculaire. Autre problème, les enzymes de la voie de production de la codlémone du carpocapse n’étant pas toutes connues, l’équipe a dû passer au crible de nombreuses enzymes pour identifier celles qui assuraient la fonction souhaitée. «Nous savons désormais comment synthétiser la codlémone dans la levure Y. lipolytica», conclut Leonie Wenning. Les prochaines étapes prévues par l’équipe consistent à affiner l’ensemble du processus, du début à la fin, et à le mettre à l’échelle. Après quoi, des essais sur le terrain seront réalisés pour valider l’efficacité de la phéromone et obtenir les autorisations réglementaires.