De nouveaux enzymes, développés dans le cadre d'un projet européen, au service d'une meilleure qualité alimentaire
Un projet financé par l'UE et récemment mené à son terme a permis de développer une série de nouveaux enzymes capables d'améliorer la texture et la qualité des aliments et, par exemple, de donner aux yoghourts maigres une texture riche et onctueuse. Lancé en 2002, le projet CROSSENZ (nouveaux enzymes de réticulation et leur acceptation par le consommateur pour structurer des aliments) était doté d'un budget de 1,6 million d'euros au titre de l'action clé "Alimentation, nutrition et santé" du Cinquième programme-cadre (5e PC). Les recherches ayant été clôturées en 2005, le consortium examine aujourd'hui avec ses partenaires industriels les modalités de l'exploitation commerciale de la technologie. Lors d'une réunion à Bruxelles le 27 janvier pour présenter les résultats du projet, son coordinateur, la professeur Johanna Buchert, du Centre VTT de Recherche technique de Finlande, a déclaré à CORDIS Nouvelles: "La nature regorge d'enzymes - notre tâche était d'utiliser au mieux ces outils naturels, d'identifier les bons enzymes et de les produire en quantités suffisantes pour les processus de production." Comme l'a expliqué Mme Kristiina Kruus, une collègue de la professeur Buchert au VTT, les enzymes sont des biocomposés présents dans tous les organes vivants où ils agissent comme des catalyseurs puissants et spécifiques qui accélèrent les réactions biochimiques par des facteurs allant jusqu'à plusieurs millions. Les modifications dues aux enzymes ont lieu naturellement dans les aliments - par exemple lors du mûrissement des fruits - et sont depuis longtemps utilisées à l'échelle industrielle pour la fabrication du pain et des fromages. Les enzymes dérivent de cultures microbiennes (champignons ou bactéries) ou directement de plantes, avant d'être produits en masse dans des conditions optimales en bioréacteurs. L'utilisation d'enzymes comporte de nombreux avantages, a poursuivi Mme Kruus: une faible quantité suffit pour chaque réaction (10 milligrammes d'enzyme par kilo de farine pour le pain, par exemple), ils ne sont généralement pas nocifs pour l'environnement et la santé humaine, ils sont bien souvent plus efficaces dans des conditions de réaction modérées - pas besoin de températures élevées, donc - et leurs applications sont multiples, avec plus de 4.000 utilisations actuellement documentées, bien que très peu soient commercialisées. La plupart des enzymes sont utilisés pour décomposer les molécules en unités plus petites sous l'action de l'eau (il s'agit de l'hydrolyse), pour unir des molécules à d'autres molécules (polymérisation) ou pour induire des réactions d'oxydation (oxydation). Toutefois, certains enzymes sont également capables de combiner des biopolymères tels que les protéines et les carbohydrates - un processus appelé "cross-linking" (réticulation) - pour créer de nouveaux aliments possédant des propriétés fonctionnelles. C'est à ces enzymes que s'intéressaient les partenaires de CROSSENZ. "Le processus est parti de la découverte d'enzymes potentiels pour aboutir à leur production à grande échelle en passant par leur caractérisation et leur essai dans le cadre d'applications potentielles," a expliqué Mme Kruus. "Nous avons sélectionné 600 souches microbiennes et lignées de plantes, caractérisé leurs paramètres fonctionnels tels que le pH et la température ainsi que leur structure génétique, optimisé des méthodes de production à grande échelle puis testé leur utilisation dans des produits de boulangerie, de boucherie et de laiterie." Les enzymes dérivaient de plantes et de sources microbiennes et étaient produits selon des méthodes conventionnelles et des techniques d'ingénierie génétique. Selon un autre partenaire du projet, M. Jakob Nielsen de l'Institut danois des sciences agricoles, l'objectif du projet est d'utiliser des ingrédients normaux pour produire des aliments de qualité améliorée. "Les enzymes de réticulation peuvent influer sur la qualité alimentaire en termes de force en gelée, stabilité thermique, viscosité, volume et capacité de rétention d'eau. [...] A l'avenir, ils pourraient également être utilisés pour la fabrication de produits plus sains, et il existe des preuves théoriques selon lesquelles les enzymes de réticulation permettraient de réduire les allergènes dans les aliments et, ainsi, d'aider les personnes souffrant d'allergie aux cacahuètes ou d'intolérance au gluten, par exemple." L'enzyme de réticulation le plus connu actuellement utilisé est le transglutaminase; ajouté à la farine pour améliorer le volume des produits de boulangerie et de pâtisserie, il est également utilisé pour restructurer les produits de viande. "Les domaines d'application des nouveaux enzymes découverts grâce au projet CROSSENZ seront similaires", estime le docteur Nielsen. Mais ils pourront également être ajoutés dans des produits laitiers tels que les crèmes glacées, les yoghourts et le fromage, les produits à base de fruits tels que les confitures, les produits à base de graisse tels que les margarines et le chocolat, et certains aliments fins. Si les partenaires sont convaincus que les nouveaux enzymes qu'ils ont découverts dans le cadre du projet offrent de réels avantages aux producteurs et aux consommateurs, la réaction du grand public aux aliments génétiquement modifiés (GM) a montré, ces dernières années, à quel point il peut être difficile et délicat de gagner la confiance du consommateur dans les nouvelles technologies alimentaires. C'est pourquoi un volet important du projet CROSSENZ visait à évaluer l'attitude des consommateurs face à l'utilisation d'enzymes dans les aliments et à leur production selon des méthodes conventionnelles ou la technologie GM. Selon Klaus Grunert, du "Centre for research on customer relations in the food sector'"(MAPP) à Aarhus (Danemark), qui a dirigé l'étude auprès des consommateurs, demander aux gens ce qu'ils pensent des enzymes n'a guère de sens, étant donné que très peu savent de quoi il retourne. "Premièrement, vous devez informer globalement le public sur les enzymes," a-t-il déclaré. Le professeur Grunert et ses collègues ont mené leur enquête auprès de 400 consommateurs répartis dans trois pays différents - Allemagne, Finlande et Italie. Ils ont tenté d'évaluer leur attitude face aux quatre différentes méthodes de production d'enzymes utilisées dans le cadre du projet (plante non GM, plante GM, microbe non GM et microbe GM). "Les réactions les plus positives concernaient les méthodes non GM, et les enzymes dérivés de plantes sont plus populaires que ceux dérivés de microbes," a révélé le professeur Grunert. "De toute évidence, les consommateurs estiment que certaines formes de production sont plus naturelles ou "meilleures" que d'autres." Il ressort de l'étude que les personnes ont, en général, une attitude plutôt neutre par rapport aux enzymes, mais elles ne veulent pas entendre parler de technologies GM pour la production alimentaire, a déclaré le professeur. "Cela donne un aperçu de la façon dont les gens se forgent une opinion sans même être correctement informés. Il est prouvé que lorsque les gens doivent se faire une opinion sur un sujet spécifique tel que la technologie génétique comme outil pour la production d'enzymes, ils essaient d'établir un rapport avec des thématiques plus vastes telles que les atteintes à la nature, l'ouverture au progrès technologique ou la protection environnementale. Ainsi, leurs convictions sociopolitiques donnent la couleur de leurs opinions sur les enzymes." Le professeur Grunert a ensuite voulu savoir si une meilleure information du public pouvait aider à faire évoluer les opinions. Les personnes interrogées ont reçu un faux communiqué de presse émanant d'un vrai panel de consommateurs et les informant plus en détail sur les enzymes produits avec des technologies GM. En conclusion, le panel de consommateurs recommandait l'utilisation de ces enzymes dans la production alimentaire. "Nous avons constaté que cela n'avait absolument aucun effet", a déclaré le professeur Grunert. "L'attitude des consommateurs face à la technologie GM résiste à l'information et aux efforts de persuasion car elle est liée à des convictions sociopolitiques sous-jacentes." A ce point, le professeur Grunert affirme qu'il aurait pu arrêter et demander aux autres partenaires de concentrer leurs efforts sur les enzymes dérivés sans recours à la technologie GM. Cependant, il voulait déterminer si l'expérience directe aurait plus d'impact sur l'attitude des gens que l'information seule. Ainsi, son équipe a réalisé une autre étude où les consommateurs pouvaient effectivement comparer les produits - un produit normal et un produit amélioré de façon à lui conférer ce gain de qualité attendu avec l'ajout d'enzymes de réticulation (encore non approuvés, les vrais enzymes ne pouvaient être donnés aux consommateurs). Les résultats ont été surprenants. En Italie, plus de 90 pour cent des personnes interrogées ont déclaré préférer le produit "amélioré avec des enzymes", même après avoir été informées du recours à la technologie GM; en Allemagne et en Finlande, près de 60 pour cent des personnes interrogées ont dit préférer le produit traité aux enzymes. Les implications de ces résultats sont doubles, selon le professeur Grunert: "Premièrement, qu'information et expérience sensorielle directe avec un vrai produit déterminent des attitudes différentes, et deuxièmement qu'il est possible d'amener les consommateurs à revoir leurs positions face aux produits GM en commercialisant ces produits afin qu'ils puissent les tester." Il peut apparaître inutilement risqué d'utiliser des techniques d'ingénierie génétique pour produire des enzymes alors que, de toute évidence, les consommateurs sont plus ouverts aux approches conventionnelles, mais le professeur Buchert a déclaré à CORDIS Nouvelles qu'il était plus facile et plus viable économiquement de recourir aux techniques d'ingénierie génétique pour produire des enzymes en quantités industrielles. A ce jour, le projet CROSSENZ a permis la découverte de nombreux nouveaux enzymes affichant un potentiel de réticulation, une meilleure compréhension mécanique des modèles d'enzymes, la validation de concepts de production innovants et une meilleure compréhension de l'attitude des consommateurs face aux enzymes. A ce jour, le consortium a déposé un brevet, mais d'autres applications sont en cours de développement avec l'aide des partenaires industriels du projet. "Cela prendra encore des années avant que la recherche n'aboutisse aux produits pour le consommateur, et il faudra attendre encore au moins deux ou trois ans avant de pouvoir lancer une quelconque application", a déclaré le professeur Buchert à CORDIS Nouvelles. " Mais ce domaine renferme d'énormes potentiels et les partenaires CROSSENZ recherchent de nouvelles opportunités dans les programmes financés par l'UE. Cette technologie est appelée à un très bel avenir." La conclusion revient à la responsable du projet CROSSENZ pour la Commission européenne, Rosanna D'Amario: "L'intérêt de ce projet réside dans le fait qu'il a intégré science du consommateur et technologie alimentaire. Nous parlons souvent des consommateurs, mais ce projet constitue une initiative concrète pour déterminer la position effective des consommateurs face aux enzymes."