Des avions moins polluants, plus efficaces et meilleurs
L'augmentation du nombre de vols dans le ciel européen aura forcément un impact plus important sur l'environnement. La Commission européenne recherche activement à minimiser cet impact depuis le Deuxième programme-cadre, qui remonte à 1989. Daniel Chiron a présidé une réunion à laquelle ont participé certains des plus imminents experts spécialisés dans la hausse de l'efficacité et la réduction de l'impact environnemental des avions, et ce à l'occasion de l'exposition-conférence Aerodays 2006 qui s'est tenue du 19 au 21 juin à Vienne. "Les questions d'ordre environnemental sont de plus en plus préoccupantes", a-t-il déclaré. "Et des projets y sont consacrés depuis le début du 2e PC en 1989, ce n'est donc pas un phénomène nouveau. Mais aujourd'hui, les problèmes sont plus nombreux - il s'agit de réduire les émissions d'oxyde d'azote, de dioxyde de carbone et le niveau sonore. Les représentants de l'ACARE ont précisé dans leur rapport intitulé Vision 2020 que les émissions de CO2 et le niveau sonore doivent tous les deux être réduits de moitié", a-t-il affirmé. Plusieurs projets ciblent ce problème, mais de différentes manières. Les avions modernes sont d'une complexité déroutante, mais le principal moyen de minimiser l'impact environnemental repose sur l'amélioration de l'efficacité des réacteurs - et par conséquent du carburant qui les fait fonctionner - et des avions à proprement parler. Si cette affirmation peut paraître évidente, on recense en réalité des milliers de possibilités de modifier un avion pour améliorer ses performances et son efficacité. Malheureusement, certaines de ces modifications ont pour effet de réduire les performances dans d'autres domaines, d'où la nécessité de parvenir à un compromis. Nick Peacock, directeur du programme "recherche et technologie" chez Rolls Royce, partenaire de plusieurs des projets de recherche en cours, a déclaré: "La conception, c'est entièrement une question de compromis. On dit qu'il a fallu faire des 'compromis' pour permettre à l'[Airbus] A380 d'être plus silencieux. Existe-t-il un compromis entre émissions et bruit? Sans aucun doute, mais nous devons essayer de maintenir ces deux éléments à des niveaux aussi bas que possible. Nous nous chargeons de développer la technologie, aux autres de décider de son application." Les projets spécifiques dont s'occupe M. Peacock concernent la conception économique de moteurs à réaction. "Depuis 1990, nous avons réduit la consommation de carburant des avions de 24 pour cent. Mais du fait de l'accélération de la croissance du trafic aérien, l'impact environnemental empire", a-t-il commenté. Les objectifs décrits dans le rapport Vision 2020 de l'ACARE concernent une réduction drastique des émissions et du bruit. "Ces objectifs sont des plus ambitieux. Nous nous sommes rendus compte que pour parvenir à un tel niveau d'efficacité, nous devions complètement changer la technologie. Les objectifs sont réellement significatifs, et ils doivent être appuyés par les gouvernements nationaux, l'UE, etc. Mais nous avons besoin de solutions bien plus radicales, que ce soit au niveau des réacteurs, des cellules aéronautiques et de la gestion du trafic aérien", a-t-il précisé. Rolls Royce a élaboré une vision reposant sur la mise en place de technologies d'ici cinq, 10 et 20 ans. Les produits existants sont capables de tester les améliorations envisageables. Le projet à court terme, à savoir à échéance de cinq ans, ANTLE, financé au titre du Cinquième programme-cadre (5e PC), regroupe 19 partenaires dont la mission est de modifier les différentes pièces du réacteur en vue d'une efficacité accrue. "Nous comptons beaucoup sur les universités pour réfléchir à notre place", a déclaré M. Peacock. Le réacteur ANTLE a démarré avec succès en 2005, et nombre des technologies qui sont entrées en ligne de compte dans sa fabrication finiront par s'appliquer à la prochaine génération de réacteurs. Le réacteur est peut-être l'élément le plus important d'un avion, car c'est lui qui donne à l'appareil suffisamment de vitesse pour pouvoir décoller, et c'est aussi lui qui consomme le kérosène. Comme l'a expliqué Nick Peacock, le moteur à réaction a besoin d'un changement radical pour devenir plus efficace. Cependant, c'est loin d'être le seul élément capable d'améliorer l'efficacité des avions. En effet, de nombreux systèmes dont se composent les avions reposent sur des technologies qui étaient peut-être de pointe au moment de leur développement, mais qui sont aujourd'hui considérées trop anciennes ou tout simplement trop peu respectueuses de l'environnement. La plate-forme technologique dédiée au projet POA (Power Optimised Aircraft, ou avion plus électrique) devrait permettre de remplacer une grande partie des technologies hydrauliques actuelles et des autres procédés par une technologie entièrement électrique. Lester Faleiro est responsable de la recherche et des technologies chez Leibherr-Aerospace, et également coordinateur du projet. Il a expliqué que l'idée d'origine était "de réduire le poids, pour baisser la consommation, et donc les besoins en carburant. Nous sommes en train de transformer les dispositifs en systèmes électriques plus efficaces". "L'avion met en fonction divers systèmes qui recourent à une transmission mécanique ou une alimentation en combustible. Nous essayons de faire passer tous les systèmes à un mode électrique, des pompes carburant aux roulements électriques. Les huiles hydrauliques et à palier sont très peu respectueuses de l'environnement. Le nouveau Boeing 787 sera bien plus électrique, et l'Airbus A380 va également permettre de dépasser la façon dont on utilise les avions à l'heure actuelle", a-t-il déclaré. Bien qu'il soit tentant d'envisager l'avion comme un tout cohésif, l'analyse de chaque système distinct qui le compose, et dont chacun utilise des technologies différentes, permet de s'apercevoir que l'avion réunit en réalité un éventail incroyablement vaste de systèmes. En remplaçant tous ces systèmes par des systèmes électriques, le projet POA peut dégager des économies de coût. Les objectifs consistent ici à réduire la puissance non propulsive de crête de 25 pour cent, la consommation de carburant de 5 pour cent, ainsi que les coûts annexes tels que la maintenance, la production, et à accroître le degré de fiabilité. Paradoxalement, tous ces objectifs peuvent d'ores et déjà être atteints, malgré un aspect supplémentaire des plus étonnants: "La conception du POA est en fait plus lourde qu'un avion traditionnel, mais elle offre quand même un rendement du carburant supérieur. Cela ne semble pas normal, mais, globalement, cela fonctionne", a déclaré M. Faleiro. Les propriétaires d'automobiles sont susceptibles de remettre en question la sécurité d'un avion entièrement électrique, étant donné la fréquence des défaillances électriques qui se produisent sur route. "La sécurité nous pousse, elle n'est aucunement une contrainte", a-t-il commenté. "Avec les systèmes traditionnels, par exemple le train d'atterrissage, nous avons une redondance triple - ce qui signifie que l'on utilise trois systèmes à sécurité intégrée. Or, avec les systèmes électriques, nous avons plus de redondance qu'avant, donc plus de sécurité", a-t-il expliqué. AWIATOR est un autre projet de plate-forme technologique financé au titre du 5e PC, qui réunit 23 partenaires de l'UE et d'Israël et qui devrait se terminer au milieu de 2007. La mission d'AWIATOR ne concerne que l'aile et les moyens de réaliser des économies d'énergie. L'aile est la pièce la plus ancienne d'un avion et celle qui a subi le plus d'adaptations car elle permet à l'appareil de se maintenir dans les airs. Cependant, les possibilités de réglages et d'améliorations de ce composant des plus cruciaux sont encore très nombreuses. Des programmes de travail distincts permettent d'étudier des questions telles que la gestion des turbulences et des tourbillons, la régulation de la charge, la conception des composants entrant dans la fabrication de l'aile propices à une réduction du bruit et de la consommation de carburant, la conception de l'aérofrein, la longueur et l'extrémité des ailes. Jens König, d'Airbus Deutschland, est chef de projet en charge des projets interdisciplinaires menés au titre d'AWIATOR. "45 heures de test en vol sont prévues entre juillet et décembre 2006 sur un Airbus A340. Mais l'A340 est déjà un avion ancien, ces technologies seront par conséquent développées en vue d'être utilisées sur de futurs avions", a-t-il expliqué. M. König a souligné que de nombreux programmes de travail ont été dirigés par des PME, et que l'approche adoptée par la plate-forme technologique a incité les universités à participer au processus, ce qui permettra de développer encore davantage la chaîne de l'innovation. Cependant, il estime également qu'un changement radical est primordial, évoquant l'initiative technologique commune CLEAN SKY comme point de départ envisageable. En ce qui concerne le bruit émis par les avions, la plate-forme technologique SILENCE(R) a pour objectif de développer des technologies permettant de réduire la quantité absolue de bruit émanant des avions. "Nous avons testé 35 prototypes de grande taille", a expliqué Eugène Kors de Snecma, coordinateur du projet. "Certaines solutions sont applicables à différents avions. Nous avons désormais identifié 14 plates-formes différentes pour étudier lesquelles sont les mieux adaptées à chaque avion", a-t-il ajouté. L'objectif du projet est de réduire de 10 décibels (db) le bruit émis par les avions, et ce d'ici 2016. Le projet se concentre essentiellement sur le train d'atterrissage, les réacteurs et les dispositifs de sustentation. Tout comme au titre du projet ANTLE, le nombre de réglages et d'ajustements pouvant être apportés à un réacteur est considérable, et l'on pourrait croire que la source de bruit la plus évidente serait les réacteurs. Mais pas du tout, explique M. Kors: "50 pour cent du bruit produit par l'avion au décollage et à l'atterrissage est dû au train d'atterrissage." Les conceptions de plusieurs sous-groupes ont été mises à l'essai dans des tunnels aérodynamiques et sur des prototypes de vol. Un grand nombre d'innovations, telles qu'une révision totale des clapets d'aspiration, ont déjà permis d'enregistrer une baisse du niveau sonore sans engendrer de réduction notoire de la performance. D'autres technologies, comme des panneaux uniques destinés à l'entrée du réacteur, ont été adoptées sur des avions plus récents, tels que l'A380. Les prototypes ont permis de souligner des améliorations sonores grâce à une révision complète des systèmes d'échappement ainsi que des cônes d'échappement. Les technologies actives, telles que celles qui sont appliquées aux soufflantes, sont très prometteuses, tout comme les arrivées "en biseau" destinées aux compartiments à réacteur. Les technologies actives jouent un rôle supplémentaire dans le projet ARTIMA, qui recourt à des technologies "intelligentes" pour trouver de nouveaux moyens d'améliorer la performance et de réaliser des tests de diagnostic. Gregorio Kawiecki est responsable de la recherche et du développement (R&D) chez Gamesa Desarrollos Aeronáuticos. Pour décrire la façon dont les substances intelligences sont utilisées dans un avion, M. Kawiecki a expliqué ce dont il ressort précisément: "Une substance intelligence a des propriétés spéciales. Elle peut changer de forme en fonction des champs externes, par exemple des champs magnétiques ou des stimuli électriques." M. Kawiecki a également expliqué que le sel blanc commun, tel qu'on le trouve dans sa cuisine, a les propriétés d'une substance intelligente. "Si vous faites passez un courant électrique à travers la substance, elle grossit légèrement. En faisant passer le courant en sens inverse, la substance rétrécit. Alors imaginez que l'on attache à une table une brique composée de cette substance intelligente. Si j'engendre une expansion ou une contraction de cette brique, la table penchera. Imaginez maintenant que je fasse passer du courant ne serait-ce qu'une seconde, l'expansion soudaine entraînera une onde de choc." Ces deux propriétés se sont révélées extrêmement utiles à la fois pour améliorer l'efficacité des avions et mettre en relief les défauts des structures des aéronefs. Si le matériau intelligent est relié à une pièce de l'avion qui vibre, ce matériau pourrait servir à réduire activement les vibrations. Et les vibrations entraînant une perte d'efficacité en raison de la résistance et d'autres effets qu'elles engendrent, une amélioration à ce simple niveau pourrait permettre des économies d'énergie. "Nous pouvons réduire de 10 pour cent la vibration des ailes en utilisant un appareil piézoélectrique", a affirmé M. Kawiecki avec un enthousiasme manifeste. La seconde propriété - à savoir l'onde de choc subite - peut servir à déceler les imperfections des pièces métalliques. Des capteurs peuvent être disposés pour identifier, à la manière d'un sonar ou d'un radar, le comportement de la réflexion des ondes de choc. Des imperfections au niveau des réflexions signalent des imperfections au niveau du composant. M. Kawiecki a expliqué qu'il a été démontré que la technologie de détection des avaries permet d'identifier le degré d'imperfection. A plus long terme, ces deux utilisations d'une technologie très simple pourraient permettre de déceler instantanément les dommages ou les défauts des avions, qu'ils aient été engendrés lors de la phase de construction ou en vol, afin de rendre le transport aérien plus sûr et de réduire les vibrations, pour ainsi accroître le rendement du carburant. La technologie utilisée dans le cadre du projet ARTIMA est prête à l'emploi et peu onéreuse - ce qui est toujours un "plus" pour une nouvelle technologie. Lors des essais, M. Kawiecki s'est rendu compte que "certains des composants qui servent à provoquer l'onde de choc ne coûtent que neuf euros". Des nouveautés au niveau de la construction permettront également de simplifier la fabrication de certains composants, notamment les pièces de plus grande taille et les panneaux. Le projet AGEFORM, financé au titre du 5e PC, est un processus de moulage du métal, notamment des alliages aluminium-lithium, doté d'une très grande précision. Le coordinateur du projet ALCAN, Frank Eberl, a expliqué que le procédé sous vide donnait de nouveaux espoirs à l'industrie métallurgique, étant donné que le développement d'alliages plus puissants et plus souples est constamment en cours, ce qui signifie de belles perspectives d'avenir pour les avions métalliques. Ce procédé pourrait engendrer des réductions drastiques au niveau des délais de production et de développement, et donc des économies de coûts massives. Le procédé de formage-revenu (ageforming) garantit au moulage d'alliages un niveau de précision très élevé, mais des projets tels qu'INCA se sont attachés à chercher des moyens d'identifier les imperfections sur des pièces en apparence parfaites. Projet très spécialisé, financé au titre du 5e PC, il a rassemblé des partenaires des Etats-Unis et du Canada, "mais nous voulions une base européenne pour cette technologie", a expliqué le Dr Sönke Seebacher d'Airbus, qui a coordonné le projet. "INCA est un projet orienté PME, qui a pour objectif de montrer les résultats techniques de nouveaux procédés techniques destinés à la fois au secteur de la fabrication et de la maintenance", a-t-il déclaré. L'équipe a étudié la thermographie, la shearographie, de nouvelles sondes à courant de Foucault, les rayons X, les techniques de résonance et la fusion des données, entre autres procédés aux noms plus compliqués les uns que les autres. Cependant, le procédé le plus important est peut-être celui de l'ultrasonographie laser, capable d'étudier de manière très détaillée l'intégrité des objets courbes. Ont participé au projet l'équipe canadienne qui a inventé le procédé ainsi que des entreprises américaines qui utilisent déjà cette technique à des fins commerciales. Les fonds octroyés au titre du programme-cadre peuvent être employés dans un large éventail de secteurs. La complexité de l'industrie aéronautique moderne est telle que de nombreux projets ne peuvent aboutir que grâce à une collaboration s'appuyant sur une expertise unique et précise en matière d'ingénierie et propice à l'amélioration des efficacités. Cette approche du concept de projet - qui s'appuie sur une collaboration pour identifier des solutions pratiques aux problèmes et commercialiser ces solutions - est courante pour le programme-cadre. L'ensemble des programmes énumérés ci-dessus ont pour objectif de rendre les avions meilleur marché, plus légers, plus efficaces, plus confortables, moins polluants et, surtout, plus sûrs, non seulement dans l'intérêt de l'industrie aéronautique européenne, mais également de l'économie européenne, et donc dans notre intérêt à tous.
Pays
Autriche