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Santé: les femmes lésées par leur exclusion des essais cliniques

Les femmes restent largement sous-représentées dans les essais cliniques menés en Europe, et l'on dispose d'une masse croissante de preuves attestant l'effet pernicieux d'une telle situation sur les soins dont elles bénéficient. Les études cliniques portant sur des maladies ...

Les femmes restent largement sous-représentées dans les essais cliniques menés en Europe, et l'on dispose d'une masse croissante de preuves attestant l'effet pernicieux d'une telle situation sur les soins dont elles bénéficient. Les études cliniques portant sur des maladies affectant indifféremment les deux sexes ont longtemps été menées presque entièrement sur des hommes. L'une des raisons était que l'on partait du principe que les différences existant entre hommes et femmes en matière de santé se restreignaient dans une large mesure à leur système reproducteur. L'autre grande raison d'exclure les femmes des essais cliniques était le souhait, parfaitement louable, de protéger les enfants à naître. À la fin des années 80 et au début des années 90, les chercheurs ont toutefois commencé à réaliser qu'il existait en réalité entre hommes et femmes de nombreuses différences susceptibles de modifier le cours de la maladie ou la manière dont l'organisme répondait à tel ou tel médicament selon que l'on avait affaire à l'un ou l'autre sexe. Certaines de ces différences sont imputables aux disparités sociales entre hommes et femmes; dans la mesure où ils assument souvent des fonctions et des tâches différentes, ils sont exposés à différents facteurs de morbidité. D'autres sont biologiques et résultent de dissimilitudes génétiques, hormonales et métaboliques. Parmi les exemples de maladie dont le tableau diffère chez l'homme et la femme, on trouve la borréliose (ou maladie de Lyme), qui est transmise par les tiques et peut, faute d'être traitée rapidement, avoir de graves conséquences sur le système nerveux central. Un médecin suédois a noté que le diagnostic de la maladie intervenait plus tardivement chez les femmes âgées de plus de 40 ans que chez les hommes. L'un des principaux signes de la maladie est une rougeur en forme d'anneau sur la peau; or après la ménopause, les femmes ne présentaient pas ce symptôme classique, mais plutôt une tâche rouge. Des tests immunologiques ont révélé que la réaction à une infection par la maladie de Lyme est liée aux hormones. Les médicaments peuvent aussi agir différemment chez l'homme et chez la femme. Conçue pour les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, la digoxine permet d'améliorer les capacités de pompage du coeur. Les essais ont été menés sur un groupe composé de 80 % d'hommes, et les résultats ont montré que bien que le médicament ne réduise pas la mortalité, les patients qui en prenaient étaient moins fréquemment hospitalisés. Partant de là, on a assisté à la publication, à la fois en Europe et aux États-Unis, de directives recommandant son administration en vue d'améliorer la qualité de vie. Quelques années plus tard, les chercheurs ont mené une analyse «post hoc» au cours de laquelle ils ont étudié séparément les résultats en fonction du sexe. Ils ont établi que si les hommes prenant de la digoxine s'en tiraient mieux que ceux à qui on administrait un placebo, les femmes qui prenaient cette molécule décédaient en revanche plus rapidement que celles recevant un placebo. Comme elles ne représentaient qu'une petite proportion du groupe d'étude initial, cet effet n'avait toutefois pas été relevé. La différence pourrait tenir au fait que la maladie cardiaque, chez l'homme, tend à se développer à la suite d'un infarctus alors qu'elle s'observe plus souvent, chez la femme, en corollaire d'un diabète ou d'une hypertension, pathologies pouvant affecter le coeur de différentes manières. Ces exemples montrent à quel point la santé des femmes se trouve pour l'heure compromise par leur actuelle exclusion des essais cliniques. Le Dr Clara Moerman, de l'université d'Amsterdam, estime qu'on est là confronté à un problème de justice. «Chacun, dans la société, peut prétendre recevoir des soins de santé de bonne qualité», déclare-t-elle énergiquement. «Cela requiert des connaissances, et cela requiert de mener des recherches prenant cet aspect en compte». Elle relève également qu'inclure les deux sexes dans les recherches constitue une pratique scientifique utile. «Exclure les femmes équivaut à ne point engendrer de connaissances les concernant», note-t-elle. «Si des différences existent, elles devraient intéresser les chercheurs.» Et s'il est parfaitement légitime de vouloir protéger un enfant à naître, le Dr Moerman indique néanmoins que les femmes en âge de procréer ne projettent pas toutes une grossesse - sans compter que les responsables des essais cliniques ont la faculté de demander aux participantes d'employer des contraceptifs pendant la durée de l'étude. «C'est une barrière d'ordinaire surmontable!», déclare-t-elle. Aux États-Unis, la législation en place depuis 1993 exige que les études cliniques financées par le NIH (National Institutes of Health) portent sur des populations représentatives des deux sexes ainsi que des différents groupes ethniques. Il y a un an, ces règles ont été élargies afin d'englober toute la recherche sanitaire financée par le NIH. Dans les faits, ces règles consacrent le droit de tout citoyen à participer à la recherche et à partager les bénéfices et risques allant de pair. Dans l'Union Européenne, la Commission oeuvre d'une part à favoriser une participation équilibrée des femmes et des hommes dans les recherches tandis que sont invoqués, de l'autre, des principes éthiques se référant à la déclaration d'Helsinki, centrée sur la protection des individus prenant part à de telles recherches. «La question de la justice et de l'égalité pour tous ne figure nulle part», a déclaré Joke Haafkens, qui enseigne elle aussi a l'université d'Amsterdam. Mmes Moerman et Haafkens ont récemment encadré une étude financée par l'UE qui visait à déterminer si les comités d'éthique de la recherche (CER) de cinq États membres de l'Union prenaient en compte l'égalité des sexes lors de l'évaluation des protocoles d'essais. Elles ont établi qu'aucun des comités étudiés n'avait l'obligation formelle d'inclure dans ses rangs des experts versés dans le domaine des sexospécificités. «Ni les réglementations ni les outils servant aux procédures d'évaluation éthique ne requièrent d'examiner l'inclusion équilibrée des femmes et des hommes dans les études», écrivent-elles. «Il en va de même pour l'analyse sexospécifique des risques et bénéfices associés à la participation aux études.» Mais se contenter d'inclure des femmes dans les recherches ne suffit pas. Encore faut-il, comme l'illustre l'exemple de la digoxine, que les scientifiques présentent leurs résultats de manière à ce que les différences entre hommes et femmes puissent être analysées. Dans une récente publication, les chercheuses espagnoles Maria Teresa Ruiz Cantero et Maria Angeles Pardo indiquent que les essais portant sur le Vioxx, un médicament contre l'ostéoarthrose, ont inclus davantage de femmes que d'hommes. Cependant, 80 % des essais ont omis de décrire l'efficacité du médicament en fonction du sexe, et une étude seulement rapportait des effets secondaires en opérant ce distinguo. «Rappelons à cet égard que 78 % des effets secondaires du Vioxx rapportés en Espagne se produisaient chez les femmes», écrivent-elles. On retrouve également ce problème en Amérique. Une récente étude a permis d'établir que les trois quarts des essais cliniques cardio-vasculaires publiés dans les plus éminentes revues de la discipline ne fournissaient pas d'analyse des résultats ventilée par sexe, bien que les essais financés par le NIH fussent davantage susceptibles de fournir ce type d'informations que les autres. «La maladie cardiaque est la menace numéro un pesant sur la santé des femmes et il faut que nous puissions indiquer à ces dernières si les tests diagnostics que nous ordonnons sont justes et quels effets les traitements auront sur elles; or nous ne disposons pas aujourd'hui de suffisamment de données spécifiques concernant la gent féminine», déclare Sharonne Hayes, de la clinique de cardiologie féminine de la Mayo Clinic, aux États-Unis. Résoudre ce problème implique une volonté d'action de la part de maints protagonistes, dont l'UE. «À notre avis, la directive européenne sur les recherches cliniques devrait comprendre des dispositions visant à améliorer l'égalité entre les sexes lors de l'examen éthique de telles recherches - en encourageant une représentation équitable des hommes et des femmes au sein des CER et en exigeant que l'évaluation de protocole fasse davantage cas des besoins sexospécifiques en matière de santé et d'autres différences possibles liées au sexe», écrivent Mmes Moerman et Haafkens dans le document. Elles recommandent également que la DG Recherche initie parmi les protagonistes un débat «sur l'incontournable nécessité d'une inclusion équilibrée des hommes et des femmes et d'une distribution équitable des bénéfices et risques associés à la participation à une étude.» Les auteurs du document espagnol prônent pour leur part une plus grande implication de l'Agence européenne des médicaments (EMEA) qui, selon elles, n'a pas développé de directives ou de stratégies spécifiques aux sexes. «L'EMEA devrait avoir une influence régulatrice garante de sécurité et d'efficacité pour les femmes utilisant les médicaments», écrivent-elles. Les revues doivent elles aussi agir. «Le changement observé au niveau du NIH et d'autres sources de financement dans le but d'encourager la recherche liée au sexe n'est qu'un début» déclare le Dr Mary Norine Walsh, travaillant pour The Care Group à Indianapolis, l'un des auteurs de l'étude américaine sur le coeur. «Il n'y aura d'inflexion durable que lorsque ceux qui planifient de vastes essais cliniques recruteront suffisamment de femmes pour permettre une analyse préspécifiée de l'impact final et lorsque les éditeurs et évaluateurs des revues exigeront à l'unisson une telle analyse.» Il importe également de sensibiliser les médecins à ces questions et cela devrait débuter dès la faculté. Selon Mme Haafkens, les facultés de médecine néerlandaises ont récemment commencé à mettre davantage l'accent sur ces sujets lors des cours dispensés. Les patients ont eux aussi un rôle à jouer. «Lorsqu'un médecin préconise un certain traitement ou test à une femme, celle-ci devrait demander si des femmes ont déjà été incluses dans les recherches en question», déclare le Dr Hayes. «Lorsque je dis à une patiente qu'il lui faut tel médicament ou test ou procédure, je dois être capable d'indiquer s�il y a eu des essais sur la femme. Pour l'heure, cela m'est impossible dans bien des cas. Mais je pense que, soulevées par les femmes, ces questions peuvent guider notre comportement et nous pousser à nous assurer que les futures recherches s'appliqueront davantage à elles.»