L'usine à protéines d'une cellule filmée en pleine action
Des chercheurs financés par l'UE sont parvenus à filmer en pleine action les usines à protéines de la cellule: les ribosomes. Ces travaux apportent des informations sans précédent du fonctionnement de ces éléments essentiels de la machinerie cellulaire, et pourraient faciliter la mise au point de nouveaux médicaments. L'étude, publiée dans la revue Nature, a reçu un soutien de l'UE dans le cadre du projet 3D-REPERTOIRE («A multidisciplinary approach to determine the structures of protein complexes in a model organism»), financé au titre du domaine thématique «Sciences de la vie, génomique et biotechnologie pour la santé» du sixième programme-cadre (6e PC). L'ADN détient le plan d'un organisme et de la vie, mais les ribosomes sont les usines où ce plan est traduit en protéines qui composeront les muscles, transporteront les substances dans ou entre les cellules, enverront et recevront des signaux, déclencheront des réactions chimiques, etc. Tout commence au niveau de l'ADN. Le segment d'ADN qui porte le code génétique d'une protéine donnée est recopié en un acide ribonucléique messager (ARNm) monobrin. L'ARNm s'attache à un ribosome, lequel se déplace tout au long de la molécule d'ARNm en «lisant» le code génétique. Chaque bloc de trois «lettres» correspond au code génétique de l'un des acides aminés utilisés pour fabriquer les protéines. Des molécules d'un autre type d'ARN, l'ARN transfert (ARNt), reconnaissent ce code génétique et apportent au ribosome l'acide aminé correspondant. Au fur et à mesure que le ribosome se déplace le long de l'ARNm, il relie les acides aminés en une chaîne, fabriquant peu à peu la protéine. Les ribosomes sont très petits, à peine 25 nanomètres de long, pratiquement la même taille que les plus petits virus. Il n'est donc guère facile d'étudier leur structure, et la première équipe à y parvenir a reçu le prix Nobel de chimie en 2009. Des études précédentes avaient expliqué comment les ribosomes assemblent les acides aminés pour former une chaîne, et comment les ARNt lisent les informations codées dans l'ARNm. Néanmoins, les ribosomes sont à la base des machines équipées de pièces mobiles, et jusqu'ici, on ne disposait que d'images fixes. Par conséquent, de nombreux aspects de leur fonctionnement restaient mystérieux. Dans cette étude, des scientifiques de l'institut Max Planck de chimie biophysique en Allemagne, et de l'institut de physique nucléaire de Saint-Pétersbourg en Russie ont réussi à «filmer» les ribosomes en action. «Le principe consistait à réaliser une solution contenant des ribosomes en fonctionnement», expliquait Holger Stark, responsable du groupe de cryomicroscopie électronique en 3 dimensions de l'institut Max Planck de chimie biophysique. Des échantillons de la solution ont été prélevés régulièrement et congelés au plus vite. Ainsi, la machinerie moléculaire a été stoppée à différentes étapes du processus. «À partir de ces échantillons, le microscope électronique a réalisé une série d'images des ribosomes à différentes étapes de la fabrication de protéines, où leur structure tridimensionnelle est différente», expliquait le professeur Stark. Au total, l'équipe a enregistré plus de deux millions d'images de ribosomes en action. Un programme informatique a été utilisé pour catégoriser les images; les groupes d'images résultants correspondent aux différentes étapes de la production protéique. Ensuite, l'ordinateur a calculé la structure 3D de ces groupes. Enfin, ces images ont été réorganisées pour créer un film qui montre comment l'ARNm passe dans le ribosome, un peu comme une bande magnétique dans un lecteur, et comment les ARNt apportent les acides aminés au ribosome avant d'être libérés. «Nous pouvons suivre pas à pas le parcours des ARNt dans le ribosome, et nous pouvons observer comment les mouvements des ARNt sont couplés aux changements dynamiques du ribosome», commentait Niels Fischer, du laboratoire du professeur Stark. Le Dr Marina Rodnina, de l'institut Max Planck de chimie biophysique, ajoutait: «L'analyse montre que des nanomachines comme les ribosomes fonctionnent différemment des machines couplées mécaniquement à l'échelle macroscopique. Le couplage entre les mouvements spontanés du ribosome et des molécules d'ARNt est relativement lâche.» De plus, l'équipe a découvert que les ribosomes fonctionnent de manière optimale à la température de notre corps (autour de 37°C) et utilisent cette chaleur comme source d'énergie. «Les ribosomes peuvent convertir directement l'énergie thermique en mouvement», expliquait le professeur Stark. «L'énergie thermique disponible dans les conditions physiologiques est suffisante pour que les ribosomes effectuent les mouvements nécessaires à la synthèse de protéines». Ces travaux pourraient contribuer au développement de nouveaux médicaments. Par exemple, nos ribosomes diffèrent de ceux des bactéries, et certains antibiotiques sont efficaces car ils bloquent la synthèse des protéines par les ribosomes bactériens, sans perturber les nôtres. La conception de nouveaux antibiotiques passe donc par une meilleure compréhension de la structure et du fonctionnement des ribosomes.
Pays
Allemagne, Russie