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Entretien
Contenu archivé le 2024-04-18

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Une bibliothèque visuelle apporte un nouvel éclairage sur l’histoire de l’Arctique

Il est toujours instructif de voir le village ou la ville où l’on habite tel qu’il ou elle était bien avant notre naissance. Pour les personnes vivant dans la région arctique, cela s’avère toutefois très complexe, voire impossible. Le projet ARCVIS avait pour objectif de remédier à cette injustice en fouillant dans les archives du XIXe siècle.

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Il est devenu difficile de songer à l’Arctique à travers un prisme qui s’abstient d’évoquer la fonte des calottes glaciaires, des ours polaires affamés ou les menaces liées à une exploitation incontrôlée des ressources naturelles. Le fait que ces terres possèdent leur propre histoire et leurs propres habitants n’est souvent pris en compte qu’après coup, si tant est qu’on y prête attention. Avec le projet ARCVIS (Arctic Visible: Picturing Indigenous Communities in the Nineteenth-Century Western Arctic), Eavan O’Dochartaigh a souhaité apporter de nouvelles perspectives sur ces régions. Malgré la pandémie de COVID-19 et toutes les difficultés techniques qui en ont découlé, elle est parvenue à compiler en ligne une collection de croquis, gravures, lithographies et photographies d’archives, qui permettra de mieux comprendre l’histoire et la culture de la région.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de réexplorer l’histoire des communautés locales de l’Arctique? Qu’espériez-vous découvrir?

Eavan O’Dochartaigh: L’imaginaire dominant et tenace associé à l’Arctique correspond à un espace dépourvu d’êtres humains. Pourtant, au cours de mes recherches doctorales, je n’ai cessé de rencontrer des représentations visuelles de peuples autochtones de l’Arctique (comme les Inuits, les Tchouktches, les Yupiks, les Iñupiat et les Inuvialuit) dans des croquis réalisés au crayon, des aquarelles et d’autres supports tels que des photographies, des gravures et des lithographies. J’avais pensé orienter davantage ma thèse de doctorat sur les représentations des paysages glacés, marins et terrestres, avant de me rendre compte qu’il était nécessaire de réaliser des recherches plus poussées dans ce domaine. Dans les collections d’archives, j’espérais découvrir des représentations de peuples méconnus – datant en particulier de l’ère pré-photographique – et cartographier les origines géographiques de ces représentations.

En quoi la COVID-19 a-t-elle compliqué la tâche?

La pandémie a frappé au cours de la première année de mon projet et a empêché tout accès aux éléments des collections d’archives dont le contenu n’a pas entièrement été mis en ligne. Je pense que l’on a souvent l’impression, aujourd’hui, que tout est disponible sous forme numérique. En réalité, les dépôts d’archives n’ont pas nécessairement les ressources nécessaires pour rendre leurs collections librement accessibles en ligne. Il y a aussi beaucoup de ressources «cachées» dans les archives. Les illustrations des journaux intimes, par exemple, ne sont pas toujours cataloguées individuellement. Comme je ne pouvais pas me rendre sur place, ni même commander des documents d’archive, j’ai dû me concentrer sur les collections qui comportaient de grandes quantités d’éléments pertinents disponibles en ligne. Il s’agissait par exemple de la collection d’art polaire du musée du Scott Polar Research Institute et de celles de Bibliothèque et Archives Canada.

Ce contexte particulier vous a-t-il forcé à réévaluer vos objectifs de recherche?

En raison de la pandémie, je n’ai pas pu faire avancer le projet dans la direction prévue. J’avais par exemple envisagé d’effectuer des recherches dans les archives de diverses institutions. Il a été bien sûr impossible de se rendre dans ces institutions et, comme par ailleurs beaucoup d’entre elles étaient complètement fermées, il n’était même pas possible de commander des pièces. J’ai eu la chance de me voir proposer un contrat pour publier un livre chez Cambridge University Press pendant la pandémie, ce qui m’a permis de mettre à profit le financement Actions Marie Skłodowska-Curie (AMSC) pour cette étude. Avec le soutien de mon responsable de projet, j’ai pu utiliser ces fonds pour les autorisations relatives aux images. Plus important encore, cela signifie que j’ai pu utiliser des fonds non dépensés pour mettre le livre du projet en «Gold Open Access», ce qui signifie qu’il sera disponible gratuitement en ligne. Le livre porte sur la culture visuelle des expéditions navales britanniques du milieu du XIXe siècle dans l’Arctique et s’appuie sur ma thèse de doctorat. Le travail que j’ai effectué dans le cadre de la bourse AMSC a joué un rôle important dans le processus de révision du manuscrit.

Y a-t-il des photographies qui vous ont marquée?

Il y a une photo qui me tient particulièrement à cœur. Il s’agit du portrait d’une femme yupik d’Alaska réalisé en 1851, qui se trouve dans les archives du musée du Scott Polar Research Institute. Ce portrait de Koutoküdluk présente de nombreuses caractéristiques qui lui donnent une signification particulière et assez inhabituelle dans le contexte de l’exploration de l’Arctique. La femme est nommée et le portrait est réalisé avec beaucoup de sensibilité. Les marques et les taches qui recouvrent la peinture montrent qu’elle a été manipulée à plusieurs reprises et suggèrent que la femme a eu un impact important sur l’auteur du portrait. Une autre image frappante est le portrait d’un «explorateur» réalisé par un artiste tchouktche. Il nous présente un sujet plutôt désemparé, contrairement aux images que nous voyons habituellement, qui associent à l’exploration de l’Arctique un type de personnage plus héroïque.

Quel impact durable peut-on attendre de ce projet?

J’ai recueilli une quantité importante de données sur les représentations des peuples autochtones dans l’Arctique occidental et je prévois de les publier sur une plateforme en ligne au cours des prochains mois. La plateforme rassemblera des données provenant de différents dépôts d’archives à travers le monde qui ne sont pas toujours faciles à trouver ou accessibles, en particulier pour les habitants de l’Arctique. Je pense que le résultat le plus important concernera la présentation géographique de ces données, qui permettra aux personnes vivant aujourd’hui dans l’Arctique d’accéder à des représentations visuelles d’habitants de leur région datant du XIXe siècle.

Comment ces recherches vont-elles faire évoluer la perception générale de ces communautés?

J’espère qu’elles feront prendre conscience aux gens que l’Arctique n’est pas seulement un espace vide et glacé. Aujourd’hui, on se concentre tellement sur la fonte des glaces qu’on en oublie souvent les gens qui vivent dans ces régions.

Quelles sont les prochaines étapes?

Je viens de débuter un postdoctorat grâce à une bourse du Conseil irlandais de la recherche, à l’Université nationale d’Irlande, à Galway, ce qui me donne l’occasion de poursuivre mes recherches. Outre la consolidation et la publication des données que j’ai recueillies, je m’intéresse désormais aux images de l’Arctique qui remettent en question nos idées préconçues, en particulier celles qui montrent une région complexe et riche en biodiversité. Les travaux effectués dans le cadre de la subvention AMSC et de ma bourse actuelle seront regroupés dans un second livre portant sur les représentations visuelles de l’Arctique au XIXe siècle.

Mots‑clés

ARCVIS, Arctique, archives, musée, histoire