Parenté chez les coraux: comment des liens familiaux éloignés façonnent le comportement collectif d’espèces de poissons complexes
L’étude de l’évolution sociale, en particulier l’évolution de groupes complexes où seuls quelques individus sélectionnés se reproduisent, est un mystère de l’évolution. La manière dont les gènes favorisant la coopération sociale sont transmis lorsque certains individus choisissent de ne pas s’accoupler n’est pas claire. Traditionnellement, ce domaine d’étude se limite aux animaux terrestres tels que les oiseaux, les mammifères et les insectes eusociaux(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). Cependant, la vie marine, en particulier les poissons marins qui vivent en groupes complexes, offre une occasion unique d’élargir notre compréhension de l’évolution sociale.
Des organismes marins fascinants
«Certains poissons marins, tels que les gobies(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) de coraux et les poissons-clowns(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) dans notre étude, sont fascinants en raison de leurs structures de groupe complexes. Ces groupes ne comptent qu’un seul couple reproducteur et plusieurs subordonnés non reproducteurs», fait remarquer Theresa Rueger, chercheuse à l’université d’Exeter et coordinatrice du projet SoEvoFish qui a reçu un financement du programme Actions Marie Skłodowska-Curie(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre). «Ces poissons entretiennent également une relation mutualiste avec les coraux et les anémones de mer qu’ils habitent. Leurs groupes sont différents des structures sociales familiales classiques observées chez les animaux terrestres, principalement car les poissons marins présentent une phase larvaire dispersive qui rompt les liens familiaux», ajoute Theresa Rueger. Cela signifie qu’ils parcourent de longues distances avant de s’installer sur un récif, avec l’incertitude de se retrouver, ou non, à proximité de leurs proches parents.
Structures sociales complexes et liens symbiotiques
L’objectif de SoEvoFish était d’élaborer un nouveau modèle pour comprendre l’évolution sociale de ces créatures marines, en testant l’hypothèse de sélection de parentèle(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) au moyen d’analyses génétiques, et en observant son lien avec des hôtes mutualistes dans le cadre d’expériences de terrain à long terme. Avant les effets perturbateurs de la pandémie, les membres du projet ont réussi à effectuer leur première sortie sur le terrain en octobre 2019 et ont collecté des échantillons génétiques de gobies et de poissons-clowns en vue de leur analyse. Les résultats sont intrigants. «Nous avons découvert que les poissons vivant dans le même groupe étaient plus apparentés que ceux de la population générale. Il ne s’agissait pas de membres de la famille immédiate comme des frères et sœurs, mais plutôt de parents éloignés, un peu comme des cousins au deuxième degré», souligne Theresa Rueger. «Cette découverte inattendue suggère que les liens de parenté éloignés pourraient potentiellement influencer l’évolution de la vie en groupe chez ces espèces.» Les membres du projet ont également mené une expérience en laboratoire avec des poissons-clowns et des anémones de mer en collaboration avec Peter Buston, professeur à l’Université de Boston. L’équipe a observé que les poissons élevés sur des anémones de mer plus grandes grandissaient plus rapidement. Cette constatation suggère une explication plausible de la vie en groupe: les reproducteurs dominants peuvent tolérer les non-reproducteurs subordonnés, car de la présence de groupes de poissons plus importants découle des anémones de mer plus grandes. À leur tour, les anémones de mer plus grandes favorisent une croissance et une reproduction plus rapides chez les éleveurs. «En substance, les subordonnés sont des parents éloignés qui finiront par hériter du territoire sur lequel ils résident», explique Theresa Rueger. L’équipe du projet mène actuellement une expérience de suivi sur le terrain en Papouasie-Nouvelle-Guinée, afin de valider ces résultats dans l’environnement naturel du poisson. Pendant la période de confinement, les chercheurs ont collaboré avec des scientifiques marins australiens pour examiner l’état actuel des connaissances sur l’évolution sociale des poissons marins. Leur étude, qui a été accueillie positivement, décrit les travaux futurs nécessaires pour élucider ces énigmes de l’évolution.
Un modèle de mutualisme pour tous les animaux
SoEvoFish a réalisé des progrès significatifs dans l’élucidation des mécanismes de l’évolution sociale, ce qui nous rapproche d’un cadre universellement applicable à tous les vertébrés vivant dans des sociétés complexes. À l’avenir, les chercheurs utiliseront des modèles mathématiques pour créer un cadre d’évolution sociale incluant des partenaires mutualistes. «Cette étape élargira la pertinence de nos travaux à tous les animaux entretenant des relations mutualistes étroites, et pas seulement à nos organismes modèles», conclut Theresa Rueger.
Mots‑clés
SoEvoFish, évolution sociale, poissons marins, anémones de mer, groupes complexes, gobies