L'Europe doit aider les pays en développement à tirer profit de leurs scientifiques expatriés, selon un rapport français
L'Europe doit promouvoir les diasporas scientifiques et techniques de "cerveaux du Sud" afin d'enrichir sa politique de coopération scientifique et technique, peut-on lire dans un rapport réalisé à la demande du ministère français des affaires étrangères et présenté lors d'une conférence internationale sur la fuite des cerveaux, qui a eu lieu le 30 juin dernier. L'un des principaux moyens qui permettront d'atteindre l'objectif de Lisbonne, à savoir faire de l'UE l'économie la plus compétitive du monde d'ici 2001, consiste à attirer sur le vieux continent les chercheurs des pays tiers. Toutefois, le fait que 10% du total des étudiants africains étudient dans des pays membres de l'OCDE se traduit par une situation où les intellectuels du Sud participent au développement du Nord, selon ce rapport intitulé "Diasporas scientifiques". "Quand on sait qu'en Afrique, le système scientifique et technique est en lambeaux, a déclaré Jean-Baptiste Meyer, de l'IRD (Institut de recherche pour le développement), on ne peut laisser cette situation se poursuivre. Elle soulève trop de questions déontologiques et éthiques." La solution, a ajouté M.Meyer consiste à mondialiser les échanges intellectuels. La coopération doit devenir plus symétrique et bénéficier tant au Sud qu'au Nord. "L'État doit soutenir le développement du capital intellectuel dans les pays plus pauvres", a précisé M.Meyer. Les auteurs de ce rapport ont constaté que la proportion d'étudiants expatriés originaires de pays du Sud qui finissent par rester dans leur pays d'accueil pour y travailler varie de pays à pays, mais est toujours élevée. Les deux tiers environ des expatriés qualifiés, surtout ceux qui travaillent dans la recherche et le développement (R&D), arrivent dans le pays d'accueil en tant qu'étudiants. Toujours selon ce rapport, l'Afrique compte une proportion d'étudiants expatriés beaucoup plus élevée que les autres parties du monde: 10% du total des étudiants africains étudient à l'étranger. La France est le premier pays d'accueil pour les étudiants africains, qui s'y rendent à raison de 34%, puis viennent les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, qui accueillent chacun 13% de ces étudiants. En France, 75% des étudiants provenant de pays en développement et émergents sont originaires d'Afrique, et ces étudiants africains décrochent 12% des diplômes de doctorat délivrés en France. De plus, dans l'UE, au Japon et aux États-unis, l'on estime à 600000 le nombre de scientifiques et d'ingénieurs du Sud travaillant dans la R&D. Si l'on considère le fait qu'il y a 1,8 million de travailleurs scientifiques et techniques dans les pays en développement, cela revient à dire qu'un tiers de l'ensemble de la communauté scientifique et technique des pays du Sud travaille dans le Nord. Pour ne parler que de l'Afrique, les experts estiment que plus d'un tiers des travailleurs hautement qualifiés vivent à l'étranger, une tendance qui semble s'accélérer. Cette tendance préoccupe les pays en développement, qui s'inquiètent depuis longtemps de l'incidence négative du phénomène de la "fuite des cerveaux": il leur faut surveiller le départ des "cerveaux" dont ils ont besoin pour constituer les élites nationales et former leurs gestionnaires, leurs ressources humaines et leur population active. Au départ, ces gens quittent leur pays pour poursuivre leur formation à l'étranger, mais un grand nombre d'entre eux ne retournent jamais dans leur pays d'origine. Les organisations internationales sont également préoccupées par ce mouvement car elles savent que le développement économique, social et culturel dépend en grande partie de la disponibilité d'un potentiel de travailleurs formés. C'est pour cette raison précise que le gouvernement français a commandé ce rapport, qui a été réalisé par un panel d'experts tant du Nord que du Sud. Ce panel a découvert que "les expatriés semblent être les acteurs les mieux placés pour identifier et promouvoir dans les programmes politiques de leurs pays d'accueil les questions de développement cruciales pour leurs sociétés. Il est important d'organiser cette coopération, de faciliter les initiatives des expatriés sans se substituer à eux, et de veiller à ce que cette coopération ne soit pas détournée au bénéfice de quelques intermédiaires évoluant dans les diasporas". L'on peut lire dans ce rapport que, depuis quelques années, des ingénieurs et scientifiques expatriés des pays du Sud et travaillant dans le Nord coordonnent des actions afin de s'entraider et d'échanger des informations mais également d'assister les institutions et les scientifiques de leur pays d'origine. Les experts se sont donc demandé si cette fuite des cerveaux, qu'aucune politique préventive n'a pu endiguer, ne pourrait pas s'avérer en fait moins négative que ce que l'on craignait à l'origine. L'on a en effet l'impression que cette fuite des cerveaux est compensée par cet apport officieux mais réel que les expatriés offrent à leur pays d'origine. Par le biais des diasporas, les expatriés peuvent contribuer au bien-être de leur pays d'origine de diverses façons. En tissant des liens avec le secteur privé du pays d'accueil, ils peuvent être des ambassadeurs efficaces qui assurent la promotion des intérêts du secteur scientifique de leur pays d'origine. En restant au courant des développements dans le pays d'accueil et des besoins de celui-ci, ils peuvent envoyer chez eux des informations scientifiques, des candidatures à des appels de marchés publics, des livres, etc. L'enseignement est une autre façon de contribuer au développement du pays d'origine: des expatriés expérimentés accueillent dans leur laboratoire à l'étranger des scientifiques plus jeunes venant de leur pays d'origine ou rentrent chez eux pour dispenser un enseignement spécialisé qui fait défaut dans ce pays. La mise sur pied de projets ou d'entreprises communes constitue une autre forme de coopération utile. Les membres de la diaspora peuvent aussi participer à des commissions d'experts et à des processus de révision par les pairs dans des institutions nationales, contribuant de la sorte à l'avenir de la science dans leur pays. Le rapport appelle donc la France et d'autres pays européens à adhérer à cette solution des diasporas et à la développer de façon innovante. Cette solution devrait "se baser sur des formes particulièrement souples de soutien combinées à une évaluation régulière", déclare le panel d'experts. "Ce qu'il faut adopter, c'est une politique qui donne des moyens d'action aux acteurs dans les pays d'accueil et d'origine, et non une politique où l'on agit à leur place." Le rapport suggère la mise en place d'un "incubateur" de diasporas scientifiques et techniques, à l'instar des incubateurs d'entreprises. Il propose "le suivi des étudiants expatriés et la création d'une structure où les scientifiques du Sud peuvent trouver des services d'appui aux diasporas en développement. Avec un "incubateur" de ce type, il serait possible de soutenir les bases de connaissances et d'informations qui renseignent sur les compétences disponibles dans chaque pays et parmi les expatriés, sur les carrières possibles pour les jeunes en formation, et sur les projets de recherche en cours ouverts aux intervenants dans les pays d'origine et d'accueil." "Il semble qu'il y ait de la place pour une politique publique originale et progressive. Les diasporas sont un vecteur prometteur de coopération scientifique et technique, mais elles sont sous-utilisées; une telle politique pourrait remédier à cela", a conclu le rapport.
Pays
Allemagne, France, Royaume-Uni