Des fossiles révèlent l'existence de microbes précambriens, et aident à résoudre le dilemme de Darwin, vieux de 150 ans
Cent cinquante ans après la publication de l'Origine des espèces, de Charles Darwin, des scientifiques au Royaume-Uni on fait appel à de nouvelles techniques pour mettre en évidence des fossiles précambriens dans les roches étudiées dans les années 1850 par un contemporain de Darwin, John W. Salter. Publié dans la revue Journal of the Geological Society, l'article présente des preuves de l'existence de la vie avant «l'explosion du Cambrien», une époque caractérisée par une diversification soudaine et rapide des espèces. Dans son oeuvre publiée en1859, Darwin explique comment la vie évolue progressivement au cours des millions d'années, en se basant sur une collection de fossiles relativement réduite. À cette époque, les fossiles connus les plus anciens dataient du Cambrien, il y a environ 540 millions d'années. Ce qui gênait le biologiste était de ne pouvoir expliquer l'absence de fossiles plus anciens, et la présence soudaine de nombreux groupes d'êtres vivants chez ces fossiles (le fameux «dilemme de Darwin»). Darwin avait même écrit: «À la question de savoir pourquoi nous ne rencontrons pas de riches dépôts fossilifères appartenant à ces [...] périodes antérieures au système cambrien, je ne peux apporter de réponse satisfaisante». Il avait cependant la certitude que l'on trouverait un jour de tels fossiles, soulignant que «nous ne disposons de connaissances précises que sur une petite partie du monde». Cette nouvelle étude, menée par M. Richard Callow et le professeur Martin Brasier de l'université d'Oxford (Royaume-Uni) s'est intéressée à une formation rocheuse du Shropshire en Angleterre, le supergroupe Longmyndien. D'après le géologue J.W. Salter, qui avait étudié des échantillons récupérés dans cette région dans les années 1850, ces roches contenaient la preuve d'une vie antérieure au Cambrien. Malheureusement, il n'avait pu identifier que quelques traces inhabituelles, peut-être laissées par des organismes. «Nous avons examiné tous les échantillons originaux collectés par John Salter dans les années 1850 (dans le cadre de la British Geological Survey), ainsi que certains spécimens du XIXe siècle conservés au musée de l'université d'Oxford et ceux recueillis par [les paléontologues contemporains] McIlroy, Crimes et Pauley», déclare M. Callow. «En outre, nous nous sommes rendus dans certaines localités du Longmynd pour étudier les roches sur place et prélever davantage d'échantillons afin d'enrichir nos collections. Nous les étudierons et leur appliquerons des techniques modernes.» M. Callow et le professeur Brasier ont ainsi étudié plus en détail les «traces fossiles» de Salter, et découvert pour la première fois une grande variété de fossiles microscopiques, exceptionnellement bien préservés. Ces fossiles représentent des formes de vie microbienne datant de l'Édiacarien (de -630 à -542 millions d'années), période qui a immédiatement précédé le Cambrien. Les scientifiques ont examiné les roches par microscopie optique classique (les fossiles sont en général invisibles à l'oeil nu) et par microscopie électronique à balayage (MEB). «Nous avons étudié des coupes de roches, suffisamment minces pour être transparentes à la lumière, ce qui permet d'observer l'intérieur des échantillons», explique M. Callow. La MEB a précisé la forme et la morphologie de certains de ces fossiles, et la spectroscopie à dispersion d'énergie par rayons X a permis aux chercheurs de déterminer la composition chimique des restes fossilisés. «Nous avons ainsi constaté la présence de trois modes différents de fossilisation», ajoute-t-il. Pour les auteurs, ces découvertes ont plusieurs significations. «Tout d'abord, la grande variété des morphologies que nous avons découvertes suggère la présence d'une grande variété de microbes, ainsi que des bactéries, des algues et probablement des moisissures», explique M. Callow. Par comparaison, les seuls fossiles précambriens connus jusqu'à présent (dans le chert de Gunflint) sont considérés comme n'étant que de simples bactéries. Les fossiles ont été préservés de plusieurs façons. Certains ont été compressés sous les sédiments jusqu'à ne former qu'une mince couche de résidu carboné à la surface de la roche. D'autres ont conservé leur structure tridimensionnelle et ont dû subir une perminéralisation. D'autres encore ont été conservés sous forme d'empreintes et de moulages au sein des couches sédimentaires, apparaissant sous forme de bosses très nettes, ou de leur empreinte négative. «Ceci montre que durant l'ère de l'Édiacarien, les conditions de préservation des fossiles organiques étaient plutôt favorables, par rapport à des roches plus récentes», poursuit M. Callow. «En outre, le fait que ces roches aient conservé certains de leurs secrets pendant plus de 150 ans est particulièrement intéressant, d'autant plus que ces mêmes roches que Darwin avait identifiées comme une solution potentielle à son 'dilemme' se sont révélées contenir des preuves abondantes d'une vie microbienne au Précambrien.» Les paléontologues n'ont aucune certitude quant au mode d'alimentation de ces microbes, mais étant donné qu'ils vivaient sur des hauts-fonds marins, ils survivaient en convertissant l'énergie lumineuse (comme le font les plantes) ou bien en convertissant des substances organiques en énergie (comme le font les animaux). Ces microbes pourraient être des algues, des moisissures ou diverses bactéries. Il est très intéressant de noter que ces fossiles précèdent immédiatement l'explosion de la vie animale au Cambrien, car ils pourraient faciliter la compréhension de cette radiation très importante. Depuis les premières découvertes de Salter, on admet l'importance des fossiles de traces découverts dans le supergroupe Longmyndien. Ces récents travaux ont révélé les secrets des roches du Longmyndien, et leurs fossiles remarquablement bien préservés, ce qui représente un apport inestimable quant à la résolution de l'énigme qui embarrassait Darwin, ainsi qu'une source d'inspiration pour les biologistes de l'évolution.
Pays
Royaume-Uni