Une compréhension approfondie de l’axe intestin-cerveau
Le microbiote intestinal, plus connu sous le nom de microflore, est un écosystème complexe de micro-organismes, principalement des bactéries, qui sont présents dans l’intestin et vivent en symbiose avec notre corps. Pour examiner de plus près la connexion entre le cerveau et le microbiome, Paola Tognini, chercheuse principale du projet GaMePLAY, s’est penchée sur la manière dont le microbiote intestinal module le développement et la plasticité du cerveau. Basée à l’École normale supérieure de Pise, elle a utilisé la méthode établie pour évaluer le développement du cortex visuel chez des souris. La plasticité cérébrale ou neuronale est la capacité de notre cerveau à modifier ses circuits en réponse à des stimuli externes et/ou à l’expérience. Mme Tognini s’est concentrée sur la plasticité cérébrale chez l’adulte. Cette propriété d’être «modifiable» est particulièrement élevée chez les cerveaux jeunes et diminue avec l’âge. Comme l’explique Mme Tognini: «Notre cerveau contient certaines zones qui montrent une plasticité seulement pendant des fenêtres temporelles spécifiques du développement postnatal. Lorsque cette période concrète pendant la jeunesse se termine, les circuits deviennent stables et ne sont plus malléables.» Le projet GaMePLAY, qui a reçu le soutien du programme Marie Skłodowska-Curie, s’est demandé si les signaux issus du microbiote intestinal pouvaient favoriser la réactivation de la plasticité cérébrale chez des souris adultes. «Pour atteindre cet objectif, j’ai exploité le système visuel comme modèle, car normalement les animaux adultes ne présentent pas de plasticité. Plus important encore, j’ai constaté que des changements spécifiques de la composition des microbes intestinaux pouvaient effectivement favoriser la plasticité dans la zone visuelle du cerveau de souris adultes. Le cerveau de ces animaux s’est comporté comme celui d’une jeune souris, changeant en réponse à des stimuli spécifiques», ajoute-t-elle.
Le rôle des cages enrichies sur le microbiote des souris
GaMePLAY a découvert que la composition du microbiote intestinal change avec l’âge des animaux et selon le type d’environnement où la souris a été élevée. «Les souris vivant dans un environnement capable de favoriser la plasticité cérébrale (que j’appellerai “proplasticité”) contiennent des microbes différents par rapport à celles qui habitent dans un environnement non stimulant», explique Mme Tognini. Les mêmes animaux ont été analysés à différents âges: avant le sevrage, jeunes sevrés et adultes. Il est intéressant de noter que les différences les plus notables dans la composition bactérienne apparaissent à l’âge adulte. «Je pense que cela doit être causé par le fait que les souris adultes peuvent ressentir mieux et pleinement la variété de stimuli présents dans les cages», poursuit-elle. Afin d’évaluer la plasticité cérébrale, la chercheuse a enregistré les réponses des neurones du cortex visuel, qui correspondent à la partie occipitale du cerveau. En particulier, elle a étudié la plasticité de la dominance oculaire. La dominance oculaire fait référence à la propriété des neurones corticaux visuels à répondre de préférence aux signaux d’entrée provenant d’un œil par rapport à l’autre œil. Chez la souris jeune, il est possible d’induire un phénomène plastique qui consiste à changer la préférence des neurones concernant les signaux d’entrée visuels d’un œil à l’autre. Ce phénomène plastique ne se retrouve pas chez l’adulte, à moins qu’ils ne soient élevés dans des conditions environnementales particulières. «Dans le cadre de notre étude, nous avons découvert que le fait d’élever la souris dans un “environnement spécial” et stimulant favorise la plasticité de la dominance oculaire et que les bactéries intestinales contribuent à cet effet de proplasticité», explique Mme Tognini. GaMePLAY est parvenu à prouver la possibilité de réactiver la plasticité cérébrale grâce à la manipulation des microbes intestinaux. Les implications de ce concept sont vastes, et ne se limitent pas aux systèmes sensoriels ni au cortex visuel. «En effet, j’examine désormais les bactéries spécifiques et leurs molécules dérivées en vue d’identifier des probiotiques et des prébiotiques innovants. À l’heure actuelle, je transfère ces informations à des modèles précliniques de maladie caractérisés par des défauts de plasticité. Je me concentre sur la découverte de futurs traitements, notamment pour les troubles neurodéveloppementaux», conclut Mme Tognini.
Mots‑clés
GaMePLAY, plasticité cérébrale, microbiome, microbiote intestinal, axe intestin-cerveau, cortex visuel