Comprendre la parole dans son contexte: le travail d'un cerveau opportuniste et proactif
Une étude récente a montré comment le cerveau humain utilisait efficacement les indices les plus subtils pour interpréter la parole, en anticipant ce qui pourrait être dit et à propos de qui, quelques fois en ignorant les règles du langage et en effectuant des approximations rapides pour parvenir à une interprétation le plus rapidement possible. Le professeur Jos Van Berkum, de l'Institut Max Planck de psycholinguistique aux Pays-Bas, a présenté de récentes études sur les ondes cérébrales et l'interprétation linguistique, dans la revue Current Directions in Psychological Science. «La compréhension du langage est à première vue plutôt simple», déclare le professeur Van Berkum. «Vous lancez une conversation et vous écoutez ce que l'autre personne dit. Vous recevez un ensemble de phonèmes et de sons, et si tout se passe bien, ce que vous percevez réellement, c'est du sens. Mais comment passez-vous si aisément de l'un à l'autre? Le professeur Van Berkum et son équipe ont mené plusieurs expériences au cours de ces dernières années, étudiant les potentiels évoqués cognitifs (PEC) obtenus à partir de données enregistrées sur des personnes écoutant ou lisant une série de phrases critiques, dans des contextes variés. Les PEC indiquent les modifications de l'activité cérébrale dans différentes situations, en réponse à un stimulus (par exemple un mot ou le timbre de la voix). Les résultats de toutes les études montrent clairement que l'interprétation implique de nombreuses régions du cerveau, qui réagissent à des situations différentes et travaillent de concert pour remettre les choses dans leur contexte et anticiper le sens. Le PEC N400 est plus fort à l'arrière du cerveau. Il est associé à l'analyse du sens, mais n'est pas directement sensible à la constitution de la phrase. L'effet N400, constaté par exemple lorsque quelqu'un déclare avec un accent distingué «J'ai un grand tatouage dans le dos», a montré comment l'auditeur tient immédiatement compte du locuteur et applique des stéréotypes pour anticiper ce qui va être dit. L'effet produit par l'audition ou la lecture de phrases où la référence est ambiguë diffère de l'effet N400, et se présente plus largement à l'avant du cerveau. Un autre effet PEC, le P600, se rencontre systématiquement à l'audition ou à la lecture d'un mot qui défie l'analyse anticipée de l'auditeur. Dans l'ensemble, les résultats présentés par le professeur Van Berkum suggèrent que le cerveau fonctionne de façon opportuniste et proactive, et que l'importance du contexte ne peut être sous-estimée. Il explique également que les différents aspects de l'interprétation sont gérés par des réseaux partiellement différents dans le cerveau, ce qui a récemment été confirmé par la technique d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). «Lorsque l'on interprète le langage parlé, on ne suit pas la syntaxe à la lettre», souligne le professeur Van Berkum. Des données résultant des études de son équipe montrent que l'auditeur peut déterminer si un mot n'est pas à sa place avant que le locuteur n'ait fini de le prononcer. Elles montrent également comment le cerveau s'appuie largement sur les stéréotypes sociaux pour découvrir plus rapidement le sens de ce qui est en train d'être dit. Selon le professeur, ce n'est que l'un des nombreux raccourcis «rapides et approximatifs» que nous utilisons pour comprendre la parole. Le professeur Van Berkum ne pense pas que le simple fait de mener plus d'expériences va faire progresser notre compréhension de l'interprétation. Le principal défi, dit-il, «est de construire des modèles précis de l'interprétation, qui vont correspondre aux faits comportementaux comme aux analyses linguistiques, mais aussi dont le mécanisme peut être calqué sur les données de neuroimagerie.» D'après lui, les études de neuroimagerie doivent s'intéresser à l'utilisation du langage réel. «Beaucoup de questions intéressantes nous attendent dans ce domaine», déclare-t-il. «De nombreux problèmes tournent autour du locuteur, du type du discours et des 'couches' dans la communication. Par exemple, comment votre cerveau réagit-il à l'expression 'les nuages murmurent', si vous savez que le locuteur est un poète, un patient ayant des difficultés à trouver ses mots, ou un protagoniste dans l'histoire que vous lisez? [...] Et que dire des intentions du locuteur ? [...] L'acte intentionnel est au coeur de la communication au quotidien, mais jusqu'ici, nous ne disposons d'aucun indice sur la façon dont le cerveau déchiffre tout cela lorsque les mots lui arrivent. Il est temps de le découvrir.»
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