La vigilance civique est la clé d’une gouvernance réussie des mégaprojets Les grands projets d’énergie nucléaire sont souvent associés à la méfiance du public et aux controverses. Mettre en lumière le contexte sociétal, favoriser la vigilance citoyenne et tirer le meilleur parti de cette méfiance pourraient améliorer la gouvernance de ces projets. Société © Hrui, Shutterstock Les mégaprojets, généralement associés à de coûteuses entreprises à grande échelle, telles que la construction de barrages et d’aéroports, sont toujours controversés. Ceci est d’abord dû aux enjeux politiques et économiques élevés et à la diversité des acteurs impliqués. Les controverses résultent également du potentiel de ces projets à transformer en profondeur les sociétés. Une nouvelle ligne de train à grande vitesse, par exemple, générerait non seulement des impacts économiques, environnementaux et sociaux importants dans les communautés qu’elle traverse, mais façonnerait également les habitudes de déplacement et les décisions concernant l’emplacement des logements et des entreprises. «Les différends entre partisans et opposants entraînent généralement de vifs désaccords sur les valeurs fondamentales et les visions du monde», fait remarquer le coordinateur du projet TENUMECA Albert Presas i Puig de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone, en Espagne. «Confrontés à une vive concurrence des sources d’énergie alternatives et à des exigences de sécurité extrêmement strictes et coûteuses, les mégaprojets du secteur nucléaire sont particulièrement sujets aux problèmes et aux controverses.» Controverses constructives Le projet TENUMECA, entrepris avec le soutien du programme Actions Marie Skłodowska-Curie, a été inspiré par les défis auxquels sont confrontés les mégaprojets nucléaires en Finlande, en France et au Royaume-Uni. Le projet souhaitait mieux comprendre comment des controverses constructives pouvaient être encouragées, afin d’améliorer la gouvernance démocratique de ces mégaprojets. Pour y parvenir, Markku Lehtonen, boursier Marie Skłodowska-Curie, également rattaché à l’Université Pompeu Fabra, a examiné les liens entre les différentes dimensions de la confiance, de la confiance interpersonnelle à la confiance dans des notions abstraites comme la démocratie, le marché et l’État. Il a analysé l’émergence des organisations de contre-expertise, le rôle des communautés d’accueil dans la surveillance des projets de stockage des déchets nucléaires, et la manière dont les médias et experts internationaux du secteur nucléaire structurent les problèmes et les controverses entourant ces projets. Une vigilance civique méfiante Le projet a confirmé que les mégaprojets sont comme des organismes vivants: ils s’adaptent et co-évoluent constamment avec leur environnement. L’absence de contexte peut entraîner le type de difficultés auxquelles les projets et technologies nucléaires récents ont été confrontés pour gagner en légitimité et en crédibilité, non seulement auprès du grand public et des parties prenantes, mais également au sein de la communauté nucléaire. «L’évaluation et la gouvernance de ces projets doivent dépasser la focalisation étroite sur les coûts, le calendrier et les spécifications prédéfinies du projet», explique Markku Lehtonen. «Les experts ont tendance à imputer les problèmes à des facteurs externes plutôt qu’à une contextualisation insuffisante.» Le projet a souligné l’importance de ce qu’il appelle la «vigilance civique méfiante». L’instauration de la confiance est plus facile dans des pays comme la Finlande et la Suède, où il existe des niveaux élevés de confiance interpersonnelle, ainsi que de confiance dans les institutions et l’État. Trop de confiance, cependant, peut entraver l’émergence d’une vigilance civique constructive, qui s’appuie sur une saine méfiance envers les pouvoirs en place. «Nos résultats soulignent l’importance du contexte sociétal, les vertus potentielles de la méfiance et les dangers d’une confiance excessive», déclare Markku Lehtonen. «Ils soulignent également l’importance d’encourager la vigilance civique. Pour être authentique et durable, la confiance doit se nourrir de la méfiance.» À l’avenir, Markku Lehtonen et Albert Presas i Puig aimeraient voir ces informations intégrées dans les pratiques de responsabilité sociale de l’industrie et du gouvernement. Les examens internationaux par les pairs, tels que ceux menés par l’OCDE, représentent un exemple de la façon dont la confiance et la méfiance peuvent fonctionner en tandem et soutenir des décisions et des pratiques de gouvernance socialement plus solides. Albert Presas i Puig s’intéresse à la façon dont les États ont géré la pandémie de COVID-19 en cours. «La crise de la COVID a mis les questions de confiance sur le devant de la scène», ajoute-t-il. «Nos recherches dans un avenir proche analyseront la gouvernance liée à la pandémie du point de vue de la méfiance constructive.» Mots‑clés TENUMECA, mégaprojets, nucléaire, démocratie, civisme, confiance, vigilance civique, gouvernance
