Déchiffrer le code des machines à plier l’ADN
Lorsqu’une cellule se divise, elle doit dupliquer et organiser son ADN, une tâche énorme compte tenu de la longueur et de la complexité du matériel génétique. L’ADN peut être comparé à un long fil qui doit être serré avec précision dans un espace minuscule sans s’emmêler.
Repliement et organisation de l’ADN
Le projet CHROCODYLE(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), réalisé avec le soutien du Conseil européen de la recherche(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre), a voulu comprendre comment ce tassement est réalisé. Pour ce faire, le coordinateur du projet, Stephan Gruber, et son équipe de l’université de Lausanne(s’ouvre dans une nouvelle fenêtre) en Suisse se sont concentrés sur les complexes de maintenance structurelle des chromosomes (SMC pour «structural maintenance of chromosomes»), des machines protéiques qui plient et organisent activement l’ADN. Ces complexes sont indispensables pour préserver l’intégrité du matériel génétique, ce qui est vital pour la survie et le fonctionnement des cellules. La condensine, l’un des complexes SMC qui forment des boucles d’ADN, joue un rôle clé à cet égard. Ces boucles sont essentielles à la réparation de l’ADN et à la répartition correcte des chromosomes lors de la division cellulaire. Cependant, nous manquons d’informations sur les mécanismes précis inhérents au déplacement des complexes SMC le long de l’ADN et à la formation de boucles. CHROCODYLE entendait combler cette lacune.
Le génie génétique à haut débit
Pour relever ce défi, l’équipe s’est tournée vers un organisme modèle plus simple: la bactérie Bacillus subtilis, qui contient une version du complexe de condensines plus facile à étudier que son homologue humain. Cette solution a permis aux chercheurs de réaliser un génie génétique à haut débit, générant plus de 1 000 souches bactériennes mutantes présentant des altérations spécifiques des protéines SMC. Ces mutants ont ensuite été utilisés dans une technique appelée réticulation chimique pour cartographier la structure moléculaire du complexe SMC avec une grande précision. «Nous avons pu dresser un tableau très détaillé de l’aspect de la machine SMC bactérienne et de l’agencement de ses différentes parties», explique Stephan Gruber. Parallèlement, les chercheurs ont examiné l’interaction des complexes SMC avec l’ADN, in vitro et dans des cellules bactériennes vivantes. Ils ont recouru à des outils avancés tels que la cristallographie, la microscopie, le ChIP-Seq et le Hi-C pour observer où et comment le SMC se lie et agit sur les chromosomes. Cette combinaison d’études structurelles et fonctionnelles leur a fourni une vision complète du fonctionnement de la machinerie du SMC. L’un des résultats les plus importants de cette recherche a été le développement d’un nouveau modèle pour l’extrusion des boucles d’ADN, c’est-à-dire la façon dont les SMC se déplacent le long de l’ADN. «Le moteur SMC se déplace par grandes étapes et peut facilement contourner les obstacles, petits ou grands, sur l’ADN», explique Stephan Gruber. «Cela ne ressemble à rien de ce qui avait été proposé auparavant pour d’autres moteurs de l’ADN.»
De la bactérie à la découverte
L’impact de CHROCODYLE s’étend au-delà de la biologie bactérienne. Chez l’homme, les dysfonctionnements des protéines SMC sont liés à des troubles congénitaux et sont fréquemment mutés dans les cancers. Les connaissances acquises grâce à ce projet pourraient nous aider à comprendre les erreurs moléculaires spécifiques à l’origine de ces maladies, ce qui pourrait déboucher sur des idées de traitements futurs. «Nos travaux pourraient éventuellement contribuer à révéler les défauts moléculaires à l’origine de ces maladies et fournir des indications sur les thérapies potentielles», ajoute Stephan Gruber. En outre, la compréhension de la machine SMC chez les bactéries pourrait mener à la mise au point de nouveaux médicaments pour lutter contre les infections bactériennes. Ces connaissances permettent de s’attaquer à la résistance aux antibiotiques, l’un des défis les plus pressants de la santé mondiale aujourd’hui. Enfin, le projet a également jeté les bases de futures avancées. Grâce à de nouvelles techniques telles que la cryomicroscopie électronique, les chercheurs parviennent désormais à observer les structures SMC-ADN à une résolution quasi atomique, confirmant et développant ainsi les résultats de CHROCODYLE. Ces progrès représentent une étape importante dans l’étude des machines moléculaires essentielles à la vie.